Souvent mal considérés dans le monde du travail, les plus de 50 ans ont pourtant une carte à jouer, celle du vécu, selon le sociologue Serge Guérin.
Professeur permanent à l'INSEEC Business School, expert des questions liées au vieillissement et à la "séniorisation" de la société, le sociologue Serge Guérin s'attache, dans ses nombreux ouvrages, à déconstruire les représentations négatives qui pèsent sur les quinquas et plus, responsables, selon lui, de leur mise sur la touche progressive.
Capital est allé lui demander ses pistes pour revaloriser la place des seniors dans l'entreprise.
Management : Pourquoi le taux d'emploi des 55-64 ans est-il en France l'un des plus faibles d'Europe ?
Serge Guérin : Notre histoire sociale est marquée dès les années 50 par les pré-retraites. On a réglé la crise du charbon et celle de la sidérurgie avec ce système généreux et dispendieux où les entreprises se débarrassaient de leurs seniors et où la collectivité en supportait le coût.
En 1982, les socialistes ont abaissé l'âge de la retraite de 65 à 60 ans avec l'idée de résorber une partie du chômage en libérant des emplois pour les jeunes. Ces politiques ont instillé une image négative des seniors, leur faisant comprendre qu'on n'a plus besoin d'eux ou leur donnant mauvaise conscience vis-à-vis des jeunes. La négativité s'est renforcée avec les nouvelles technologies.
On a poussé les plus âgés vers la sortie, à coup de ruptures conventionnelles, au motif qu'ils auraient du mal à s'adapter.
Ces derniers ont ainsi intégré leur incapacité à se mettre à la page. Dès 45 ans, dans l'entreprise, votre temps de formation est divisé par quatre. On ne vous interdit pas de vous former mais on ne vous y incite pas non plus. Or la meilleure façon de durer dans son milieu professionnel, c'est de se former le plus longtemps possible.
Dans les pays du nord de l'Europe, la conviction est plus forte que l'on peut évoluer pendant toute sa vie. Et puis, le pragmatisme règne.
S'il y a des gens âgés au chômage et une pénurie de compétences, patronat et syndicats se mettent d'accord pour aménager l'emploi des seniors dans des conditions dignes. Chacun s'y retrouve.
N'y a-t-il pas aussi un manque de motivation de la part des seniors? Et comment changer cet état d'esprit ?
La France est en effet le pays d'Europe où le désir de partir à la retraite le plus vite possible est le plus fort. C'est aussi celui où le sentiment d'utilité dans l'emploi, toutes générations confondues, est le plus faible, y compris chez les cadres.
La question que doivent se poser les entreprises est comment donner envie aux seniors de rester ? La solution serait de leur accorder davantage de considération. En valorisant notamment l'expérience.
Vous remarquerez qu'à partir d'un certain âge, celle-ci n'est plus considérée comme une qualité. On vous encense si vous avez cinq ans d'expérience, on vous méprise si vous en avez trente-cinq. Or l'âge ne représente pas une perte mais des acquis.
Finissons-en avec les préjugés : jusqu'à présent, aucune étude n'a démontré une différence de productivité selon l'âge.
Par ailleurs, il est illusoire de croire qu'on va se moderniser et renouveler son marché en virant les vieux pour les remplacer par des jeunes de 25 ans. Les recruteurs auraient au contraire tout intérêt à cultiver la diversité des âges pour coller à celle de leurs consommateurs.
N'oublions pas que notre pays compte plus de 20 millions de personnes de plus de 50 ans.
Malgré tout, le taux d'activité des seniors, du moins celui des 55-60 ans, progresse. N'est-ce pas le signe d'un changement de mentalités ?
C'est en tout cas une bonne nouvelle, même si l'âge reste la première discrimination à l'embauche. Là où les politiques publiques d'incitation au recrutement et au maintien dans l'emploi des seniors ont eu des résultats décevants, voire contre-productifs – je pense à l'amendement Delalande de la fin des années 80 infligeant des pénalités aux entreprises en cas de licenciements de salariés de plus de 55 ans, qui a découragé l'embauche des seniors –, la réalité économique s'est imposée. Il se trouve que la France manque de compétences.
Il y a pénurie sur des postes hautement qualifiés, d'ingénieurs en particulier, où l'âge n'est plus discriminant pourvu que vous soyez un expert. Il y a également une demande croissante de savoir-être dans les domaines de l'accompagnement, de l'enseignement ou du soin.
Rien que dans le secteur du "care" plus d'un million de postes sont à pourvoir. Les seniors ont une carte à jouer, celle du vécu, notamment dans la relation humaine. Prenez Convers, cette société de télémarketing implantée à Nice a recruté essentiellement des seniors pour leur capacité d'écoute, leur solidité et leur tempérance dans l'échange.
Faire cohabiter trois voire quatre générations dans l'entreprise, est-ce un défi ?
S'il y a une chose qui fonctionne aujourd'hui dans notre pays, c'est l'inter-génération, comme je l'explique dans mon livre La guerre des générations aura-t-elle lieu ? (coécrit avec Pierre-Henri Tavoillot, Calmann-Lévy 2017, NDLR). Il n'y a aucune raison de redouter la cohabitation, comme en atteste le succès du mentorat inversé.
Je me souviens de cette grosse boîte qui m'avait sollicité pour dénouer un conflit latent entre jeunes et vieux salariés. Elle avait confondu différence et opposition. Les deux populations étaient au contraire en demande de réciprocité.
Et d'ailleurs, dans cette entreprise qui avait supprimé le traditionnel pot de départ à la retraite, ce sont les jeunes qui se sont émus d'une telle décision. Bien qu'ils ne soient pas concernés, ce rituel signifiait pour eux une façon de dire à l'ensemble des salariés : "Vous comptez pour nous." Au fond, toutes les générations partagent le besoin d'être reconnu au travail. C'est un puissant ciment.
Depuis la loi de 2010, il est impossible de mettre un salarié à la retraite d'office avant 70 ans. Comment, pour les plus âgés, aménager le travail ?
L'emploi des seniors doit-il être monolithique ? Selon moi, la réponse est non.
Je suis partisan d'un système à la carte, comme le préconisait l'économiste Dominique Taddei dans son rapport sur les retraites choisies et progressives.
Il y a plein de choses à inventer avant la sortie ! Proposer, par exemple, du mécénat de compétences est une excellente démarche. Vous offrez ainsi aux seniors l'opportunité d'être utiles à la société en dehors de l'entreprise, en les associant à votre démarche RSE.
On pourrait imaginer aussi du mécénat envers les fournisseurs ou encore du partage de compétences avec trois ou quatre PME locales.
En accompagnant ses salariés jusqu'à la retraite et même au-delà, l'entreprise s'assure une réputation positive. Car les retraités sont, eux aussi, des parties prenantes.
Les 3 clés du maintien des seniors dans l'emploi
- Développer les compétences pour améliorer l'employabilité en garantissant un programme de formation et en valorisant l'expérience. - Anticiper la seconde partie de carrière dès 45 ans, en tenant compte des souhaits d'évolution métier ou fonction. - Accompagner la fin de carrière en proposant des aménagements à la carte telle que la retraite progressive ou le mécénat de compétences. Serge Guérin, 57 ans est docteur en sciences de l'information et de la communication de la Sorbonne.
Cet enseignant-chercheur dirige depuis 2016 le master Santé de l'INSEEC Paris, après avoir piloté la chaire Management des seniors à PSB Paris School of Business. Il enseigne également à Sciences Po Paris, master politiques gérontologiques.
Il est l'auteur de 25 livres sur le thème de la sociologie des seniors. Il intervient depuis plus de dix ans comme consultant en entreprise.
Source: www.capital.fr
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