Un nouveau souffle pour traiter l'asthme sévère
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Un nouveau souffle pour traiter l'asthme sévère

Alors que certains patients gravement touchés ne répondent pas aux traitements classiques, des biothérapies injectées une fois par mois permettent de bloquer l'emballement de l'inflammation. Mieux, elles ouvrent la voie à des traitements personnalisables.



Une petite toux sèche, un essoufflement, l'impossibilité de respirer à fond… Autant de signes que les asthmatiques ne connaissent que trop bien. Mais parfois, rien, aucun symptôme. Si ce n'est la découverte fortuite, à l'auscultation, de sifflements typiques qui, eux, orienteront le diagnostic.


Dans tous les cas, il s'agit pourtant bien d'asthme, du grec asthma ("respiration difficile"), dont la première description se trouve dans l'Iliade, le poème épique grec décrivant le siège de Troie.


Si le souffle des asthmatiques devient court, c'est parce que la quantité d'air parvenant à leurs poumons est réduite à cause de plusieurs anomalies : une inflammation chronique locale, un épaississement des parois des bronches, le tout associé à un risque de bronchoconstriction, à l'origine des crises.


Cette année encore, la journée mondiale qui a lieu ce 4 mai 2021 sera l'occasion de rappeler que 330 millions de personnes sont concernées dans le monde, dont près de quatre millions en France.


"Or, il n'y a pas 'un' mais 'des' asthmes", prévient Cécile Chenivesse, pneumologue au centre hospitalier régional universitaire de Lille et membre du réseau national de recherche sur l'asthme sévère Crisalis (Clinical Research Initiative in Severe Asthma).


Les cellules activées diffèrent selon les malades


Léger, modéré, difficile, sévère : comme toujours, les nuances sont importantes, la maladie étant très hétérogène. Et si l'inflammation avec sa cascade complexe d'événements qui reste à décrypter dans son intégralité est présente chez tous les asthmatiques, on sait aujourd'hui que les cellules activées ne sont pas les mêmes chez tous les malades.


Dans les cas d'asthme sévère (5 % des cas, environ 200.000 patients), il est devenu possible de connaître avec précision la voie spécifique de l'inflammation pour chaque malade. Intérêt : proposer, en fonction du profil inflammatoire, une thérapeutique personnalisée dite biothérapie. De fait, c'est surtout à ces cas graves que la recherche s'est intéressée ces dernières années.


Chez eux, tout se passe comme si la maladie "échappait" aux traitements classiques inhalés, quand les doses maximales de traitement classique ont été atteintes. Il faut alors rajouter d'autres corticoïdes en prise orale, dont les effets sur le long terme ne sont pas sans risque (prise de poids, hypertension artérielle, diabète, fragilité osseuse et cutanée, etc.). C'est à ce niveau qu'interviennent les biothérapies en permettant surtout de réduire cette prise de corticoïdes.


Leurs mécanismes d'action complexes reposent sur le blocage spécifique de cellules et agents intervenant dans certaines voies de l'inflammation. L'idée est de bloquer ces voies pour "casser" le plus tôt et le plus efficacement possible la puissante cascade inflammatoire. Objectif : éviter son emballement, ou tout au moins le freiner.


Deux fois moins d'exacerbations sévères


Tout a commencé il y a une dizaine d'années avec des premiers travaux sur certains anticorps, les immunoglobulines E (IgE). Très vite, un anti-IgE (omalizumab) a été développé et la première biothérapie dans l'asthme était née. C'était il y a déjà plus de dix ans. Mais alors que cette molécule était pressentie comme universelle, seuls 30 % des asthmatiques sévères y ont répondu.


Ce qui a permis de conclure que les IgE n'étaient pas seules à déclencher l'inflammation et que d'autres voies, encore inconnues, étaient impliquées. C'est ainsi que de nouveaux "responsables", tous sécrétés par le système immunitaire, ont peu à peu été identifiés, notamment les interleukines (IL) 4, 5, 13, 17, 33, TSLP (Thymic Stromal Lymphopoietin)… Autant de substances correspondant à des voies de l'inflammation inhibées par les biothérapies.


Résultat, à ce jour, plusieurs molécules sont disponibles. "Toutes permettent en moyenne de réduire de moitié les doses de corticoïdes oraux et aussi de diviser par deux le nombre d'exacerbations sévères, ces périodes nécessitant des prises de corticoïdes oraux pendant plus de trois jours", détaille Cécile Chenivesse.


Ni inhalées ni prises par voie générale, ces molécules sont injectées une fois par mois par le patient lui-même, pour la plupart par voie sous-cutanée. Mais dès lors comment savoir quelle est la molécule la mieux adaptée à son asthme ?


"Les études ont schématiquement distingué trois profils", détaille Cécile Chenivesse. Pour déterminer le profil inflammatoire d'un patient, les chercheurs ont recours à des biomarqueurs variables selon la voie préférentiellement activée. En pratique, "pour les deux premiers, nous avons recours aux dosages sanguins des IgE et des éosinophiles (un type de globules blancs), détaille la pneumologue lilloise.


Pour le troisième, c'est une mesure dans l'air expiré d'une molécule synthétisée au niveau bronchique, le monoxyde d'azote (NO)". Mais là encore, rien n'est simple, ni parfait : seulement 30 % des patients répondent aux traitements. Un quatrième profil vient d'être décrit mais aucune biothérapie n'a encore été développée.


Par ailleurs, certains asthmatiques présentent des profils mixtes car chez ces derniers plusieurs voies peuvent être activées. Faudra-t-il un jour associer plusieurs biothérapies pour traiter ces cas ?


"La question commence tout juste à se poser, poursuit la pneumologue. Mais le plus urgent aujourd'hui est de repérer des asthmes sévères. L'absence de réaction au traitement classique ou la nécessité de prendre des corticoïdes oraux plus de deux fois par an sont des signes qui doivent alerter pour faire un bilan, remettre tout à plat et voire reconsidérer le diagnostic." En effet, "la pire situation est celle de ces personnes à qui on a dit un jour “vous avez une bronchite asthmatiforme” et qui prennent des corticoïdes oraux depuis des années sans que ces traitements soient réévalués", regrette Camille Taillé, pneumologue à l'hôpital Bichat-Claude-Bernard, à Paris.


Des décès pour la plupart évitables


Ultime possibilité enfin dans les cas les plus complexes : la chaleur - une approche non médicamenteuse (voir encadré ci-dessous). Heureusement, pour la très grande majorité des asthmatiques (plus de 80 %), le traitement de fond dit classique demeure suffisant. Prescrit le plus souvent sous forme d'inhalateurs, il repose sur une association de deux classes médicamenteuses, celle des bronchodilatateurs dits de longue durée d'action (pour diminuer le risque de spasme bronchique) et celle des corticoïdes (pour lutter contre l'inflammation), les doses pouvant être augmentées selon les besoins.


À noter toutefois que "ces inhalateurs, très hétérogènes, sont encore mal manipulés par un patient sur trois", précise Valéry Trosini-Désert, pneumologue et responsable de l'unité d'endoscopie bronchique à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, à Paris.


Des erreurs de manipulation (moins de dose active délivrée) qui, associées à des prises souvent irrégulières des traitements, expliquent le mauvais contrôle de l'asthme. De plus, "les programmes d'éducation thérapeutique ne sont pas toujours proposés par les médecins, ni accessibles partout sur le territoire", rajoute Cécile Chenivesse.


Une éducation pourtant toujours essentielle, que la maladie soit légère ou sévère. Souvent silencieux en dehors des crises, l'asthme demeure aussi banalisé. Résultat, on oublie qu'il est responsable, en France, de près de 1000 morts chaque année. Des décès pour la plupart évitables si la maladie était mieux contrôlée. Or, la prise en charge reste largement perfectible.


"Moins de 20 % de l'ensemble des asthmatiques ont réalisé des tests d'exploration fonctionnelle (EFR) reflétant la gravité de l'obstruction bronchique", déplore Camille Taillé. Afin de remédier à ces insuffisances, un livre blanc a été présenté en janvier lors du dernier congrès de la Société de pneumologie de langue française par un collectif de pneumologues, de sociétés savantes et d'associations de patients. Il préconise une trentaine de mesures concrètes visant à améliorer la recherche et le parcours des asthmatiques, quelle que soit la sévérité de leur atteinte. Sans oublier la nécessité de mieux accompagner les asthmes sévères et de lutter contre les facteurs environnementaux.


65 °C pour déboucher les bronches


Soigner l'asthme par la chaleur. Tel est le principe de la thermoplastie, une technique de dernier recours exclusivement réservée aux asthmes sévères non contrôlés.


Objectif : détruire à 65 °C sous anesthésie générale la paroi des bronches épaissie pour augmenter le diamètre des conduits et ainsi le volume d'air circulant. Si ses effets durent dix ans comme vient de le prouver une étude parue dans Lancet Respiratory Medicine, aucune société savante ne la recommande encore.


"Trois séances sont nécessaires pour traiter l'ensemble des zones et des travaux sont en cours pour réduire le nombre de séances", précise Camille Taillé pneumologue à l'hôpital Bichat-Claude Bernard (AP-HP), à Paris, l'un des rares centres* pratiquant la technique.


*Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Paris, Strasbourg, Toulouse.


Comment bien manipuler son inhalateur


"La pierre angulaire du traitement de l'asthme, ce sont les inhalateurs" , insiste Valéry Trosini-Désert, responsable de l'unité d'endoscopie bronchique à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Mais faut-il les secouer avant usage, les amorcer, et combien de temps retenir sa respiration ?


Bref, comment être certain de "bien" les utiliser ? Très souvent le médecin prescripteur n'a pas le temps (ou ne le prend pas) d'expliquer au patient le fonctionnement du dispositif, et pense que le relais sera pris par le pharmacien qui croit de son côté que le médecin a déjà tout dit. Résultat, un patient sur trois fait des erreurs.


C'est la raison pour laquelle la pneumologue a créé le programme Zéphir. Au départ, en 2012, sous la forme d'un livre et, depuis 2013, un format numérique avec des vidéos visionnables sur Internet et smartphone a été développé. 61 dispositifs (aérosols doseurs pressurisés, inhalateurs de poudre sèche) ont à ce jour été recensés et d'autres sont à venir.


Bien mieux que des notices longues et rébarbatives, un format vidéo court explique en images et pour chaque dispositif la séquence précise des gestes à réaliser. Mis à jour régulièrement, ces films pédagogiques sont disponibles sur le site de la Société de pneumologie de langue française. Ils sont aussi depuis peu inclus dans les ordonnances de certains hôpitaux sous forme d'un QR code imprimé sur la prescription.


Ce qui permet au patient doté d'un smartphone de les regarder autant de fois que nécessaire pour utiliser le dispositif médical efficacement.


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