Les ailes brisées de l'aéronautique
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Les ailes brisées de l'aéronautique

Avions cloués au sol, aéroports vides, trafic en chute libre, commandes d’appareils au plus bas… La crise sanitaire frappe de plein fouet l’un des secteurs clés de l’économie française.


Eric Trappier, P-DG de Dassault Aviation, dans son bureau, le 9 octobre. Vincent Capman / Paris Match


La litanie des chiffres, mois après mois depuis la mi-mars 2020, dessine un cauchemar sans fin. Sur le seul front des effectifs, l’industrie aéronautique a perdu 13354 de ses 350000 emplois au sein de ses entreprises – le constructeur Airbus, le motoriste Safran, l’électronicien Thales... – comme chez leurs 1300 sous-traitants. Soit l’effacement complet en six mois de dix ans de gains d’emplois nets, selon l’observatoire économique Trendeo.


Parmi les cinq groupes tricolores ayant dû réduire le plus drastiquement leurs effectifs, on compte trois géants de l’aéronautique et de l’aérien, dont Air France, avec 7 712 postes supprimés, et Airbus avec 5797.


Le second, qui employait 135 000 salariés en janvier 2020 et réalisait une forte croissance depuis plusieurs années, a enregistré un résultat d’exploitation négatif de 945 millions d’euros au premier semestre 2020, après un résultat d’exploitation positif de 4,4 milliards au dernier semestre de 2019. Le fleuron historique de l’industrie nationale, 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, est la plus importante victime du Covid-19.


Un plan de relance colossal de 15 milliards d’euros, répartis entre aides, investissements et prêts


«Le secteur a subi la crise sanitaire de plein fouet, avec le quasi-arrêt du trafic aérien, confirme Eric Trappier, P-DG de Dassault Aviation et président du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales). L’activité avait un peu repris cet été, avant de diminuer à nouveau pour être inférieure de 50% en valeur à celle enregistrée en 2019.»


Pour tous les acteurs, la crise sanitaire a déclenché la « tempête parfaite », selon l’expression des météorologistes: restrictions presque totales des voyages par une majorité de gouvernements de par le monde (la plus grande partie des 22000 avions de ligne mondiaux est clouée au sol), annulations de commandes d’appareils et récession planétaire.


En 2020, le chiffre d’affaires cumulé réalisé par les 290 compagnies aériennes membres de l’Association internationale du transport aérien (Iata) n’atteindra que 419 milliards de dollars, au lieu de 838 milliards un an plus tôt.



Face à la crise la plus violente de l’histoire du secteur, l’Etat a réagi rapidement. Dès le 9 juin, trois ministres, dont Bruno Le Maire à l’Economie et Florence Parly à la Défense, et deux secrétaires d’Etat ont présenté un plan de relance colossal de 15 milliards d’euros, répartis entre aides, investissements et prêts.


Avec deux objectifs: aider la filière à tenir jusqu’à un retour à la normale espéré avant 2023 au plus tôt et financer les innovations nécessaires à la transition écologique, dont la mise en œuvre de la décarbonation du trafic aérien.


«Nous avons travaillé avec les pouvoirs publics pour élaborer ce plan, explique Eric Trappier, notamment en identifiant les entreprises les plus atteintes.Et quatre grandes entreprises ont investi en parallèle. Il faut sauver le savoir-faire technologique et continuer à mobiliser les ingénieurs. »


Selon le patron du Gifas, le projet d’aboutir à un avion « dé-carboné » d’ici à 2035 permet de surcroît d’avoir « l’œil sur l’horizon » et plus uniquement sur la crise en cours. Un fonds de 100 millions d’euros pour sélectionner les projets innovants dans l’aéronautique vient d’en retenir 55.


« Mais il reste parfois difficile pour les patrons de PME et d’ETI de la filière d’identifier les aides auxquelles ils peuvent prétendre », nuance un consultant spécialisé. Le soutien de l’Etat se manifeste aussi dans la hausse du budget des Armées.


Florence Parly a confirmé le 7 octobre la commande de dix hélicoptères NH90 et de douze avions de chasse Rafale (conçus et fabriqués par Dassault Aviation), destinés à remplacer les appareils vendus à la Grèce cet été.


Sources : Gifas, BPI, Iata, Bercy, ADP © DR


« Notre mobilisation est intacte et le restera quelle que soit la durée de la crise. Elle sera de toute façon plus longue que ce qu’il était possible d’imaginer il y a encore trois mois », affirme Eric Trappier. Patrons et spécialistes de la filière savent déjà que tous les emplois ne pourront pas être sauvegardés. Une raison supplémentaire pour les industriels de se battre aussi sur le front de la transition écologique, face à des critiques croissantes sur l’impact du transport aérien.


« Ce n’est pas la peine de nous taper sur la tête alors que nous avons déjà un genou à terre », s’insurge le P-DG d’un gros sous-traitant. Pour le président du Gifas, rouvrir les routes aériennes – et retrouver un trafic soutenu – dès que possible relève de la nécessité : « Il faudra trouver des solutions, sans quoi les compagnies aériennes ne vont pas survivre, et nous non plus. »


Parmi les pistes retenues, l’optimisation des trajectoires aériennes grâce au numérique, le remplacement de la flotte par des appareils de dernière génération, ou les vols « en formation »


En septembre, le trafic aérien mondial accusait une baisse de 75 % par rapport à l’année précédente. Elle s’approche désormais de 80 %, avec 1,2 milliard de passagers au lieu de 4,5 milliards en 2019.


Chez Airbus, le chantier de l’« avion de demain », moins consommateur d’énergies fossiles et moins émetteur de CO2 , demeure prioritaire malgré la crise. « La consommation de kérosène a déjà baissé de 80 % en une cinquantaine d’années, précise Jean-Brice Dumont, patron de la R&D et président du Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac). Et l’aviation ne représente que 2 % à 3 % des émissions totales de CO2 . »


Parmi les pistes retenues, l’optimisation des trajectoires aériennes grâce au numérique, le remplacement de la flotte par des appareils de dernière génération, ou les vols « en formation », qui permettent d’économiser 5 % à 10 % du carburant sur des vols transatlantiques.


« Nous devons aller vers des innovations de rupture », insiste Jean-Brice Dumont. En accélérant notamment les programmes de recherche et de développement sur l’hydrogène, « porteur de beaucoup d’espoir ». L’avion vert en 2035 – « l’ambition collective fixée à l’industrie », selon Bruno Le Maire – n’est plus un rêve, même si les défis technologiques posés par l’utilisation de l’hydrogène comme carburant sont multiples.


Un soutien de 1,5 milliard d’euros de financement public sera accordé au Corac sur trois ans pour aider à la recherche et à la construction de cet avion. « Le combat d’une génération », pour Jean-Brice Dumont.


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