Entretien avec l'Ambassadeur de l'Ordre Souverain Militaire de Malte au Maroc, Julien-Vincent Brunie.

Ambassadeur de l'Ordre Souverain M. de Malte au Maroc, Julien-Vincent Brunie, représentant personnel du Prince Souverain, Grand Maître de l'Ordre Souverain Militaire de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte auprès du Roi Mohammed VI.
L'événement est d'envergure planétaire. Au-delà de deux chefs d'État qui se rencontrent au Maroc, il s'agit du Chef de la Sainte Église Catholique Romaine et du Commandeur des Croyants, qui main dans la main vont faire face au reste du monde.
Bonjour Monsieur Brunie,
Avant toutes choses, comment devons-nous vous appeler, Excellence ou Monsieur l’Ambassadeur ou encore, Monsieur Brunie Ambassadeur de l'Ordre Souverain Militaire de Malte... ?
Vous pouvez m'appeler Julien, mais là, maintenant, l'usage voudrait que, en tant qu'Ambassadeur de l'Ordre vous m'appeliez Monsieur l'Ambassadeur… l'usage de "Excellence" étant réservé à la 3e personne.
Vous pouvez l'imaginer, L'Ordre de Malte, quoique bénéficiant d'une belle notoriété peut sembler mystérieux... Éclairez-nous :
Il n'y a rien de mystérieux... Il y a simplement un Ordre discret qui depuis 1000 ans fait la charité, sans distinction de race ou de religion, et s'évertue à servir les malades et les pauvres, discrètement soit, mais surtout efficacement, avec des gens convaincus que la vraie charité se fait mieux dans l'ombre que dans la lumière. Loin du mystère, l'Ordre existe et ne cache rien et s'il est discret c'est par humilité.
Ordre Souverain de Malte et République de Malte, aucune confusion ?
Si, évidemment. Mais à part l'Histoire il n'y a plus rien en commun. Charles Quint avait offert aux Chevaliers Hospitaliers de l'Ordre, l'île de Malte. Plus tard, Bonaparte, Consul de France, dans sa conquête européenne en décida autrement et les Chevaliers de l'Ordre, en toute dignité, sans livrer combat quittèrent l'île. Aujourd'hui existent un pays souverain, la République de Malte, et un Sujet de Droit International Public, l'Ordre Souverain Militaire de Malte, sis à Rome, non loin du Vatican.
Êtes-vous un Ordre religieux ou laïc ?
Les deux. Sur les 15 000 membres, 100 sont religieux et gouvernent l'Ordre. Depuis son origine c'est un Ordre religieux. Le Prince Souverain, Grand Maître de l'Ordre Souverain Militaire de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte est un chef État élu à vie – comme le Pape. Lors de sa nomination, il prend d'ailleurs le prédicat unique au monde de "Altesse Éminentissime", car le Pape lui reconnaît les égards et le rang d'un Cardinal de la Sainte Église Romaine et Catholique.
Un état souverain ? Dans quelle mesure ?
Il n'y a pas de nationalité ou citoyenneté au sens entendu, puisque l'Ordre n'a pas à proprement parler de territoire. Toutefois, nous restons un État Souverain, désigné comme Sujet International de Droit Public, siégeant à l'ONU, avec entre autres nos propres passeports - parmi les plus prestigieux et rares au monde selon le Financial Times-, environ un millier, qu'ils soient diplomatiques ou de service pour les fonctionnaires de l'Ordre, de même que nous frappons monnaie et émettons nos timbres.
Comment fonctionne le gouvernement de l'Ordre Souverain M. de Malte ?
Il y a un chef de l'État, comme évoqué en amont, ainsi qu'un Premier ministre, ministre de l'Intérieur et des Affaires étrangères – désigné Grand Chancelier –, des ministres, parmi eux le ministre de la Santé et des Affaires sociales – Grand Hospitalier –, le ministre de l'Économie et des Finances – Le Receveur du Commun Trésor –, et une administration dite classique avec notamment pour les relations Diplomatiques avec les États, un Secrétaire général pour les Affaires étrangères, géré par un Ambassadeur.
Quel est le rôle d'un Ambassadeur de l'Ordre de Malte ?
S'inscrire dans une Diplomatie humanitaire et de dialogue. Mais comme tout Ambassadeur, être le représentant d'un chef d'État auprès d'un chef d'État. Dans mon cas, le représentant personnel du Prince Souverain et Grand Maître de l'Ordre de Malte auprès de Sa Majesté le Roi du Maroc.
Depuis quand l'Ordre est-il présent au Maroc ?
Officiellement depuis 1986 l'Ordre a des relations diplomatiques avec le Royaume du Maroc, quelque temps après la visite du Pape Jean-Paul II.
Comment êtes-vous devenu l’Ambassadeur de l'Ordre au Maroc ?
Une forme de cooptation, liée à mon parcours, mes valeurs, à mon amour connu du Maroc depuis des dizaines d'années. J'étais résidant à Rabat et déjà conseiller de l'Ordre depuis 2010. En 2016 lorsque l'Ambassadeur de l'Ordre a pris sa retraite, j'ai "naturellement" été sollicité pour le remplacer auprès de Sa Majesté.
Combien d’Ambassades de l'Ordre existe-t-il dans le monde ?
Actuellement nous sommes 108 Ambassadeurs de l'Ordre Souverain M. de Malte. Il est dans notre tradition de ne pas solliciter, mais de répondre aux invitations. Probablement le fruit de notre neutralité politique millénaire et du fait qu'à ce jour nous sommes présents dans des pays où peu de représentations diplomatiques "classiques" sont établies.
Une diplomatie humanitaire ?
Assurément, de cet engagement, actuellement l'Ordre a une expérience humanitaire unique au monde et gère 1 500 Hôpitaux et dispensaires – toutes politiques et religions confondues – et 1 milliard de dollars généré directement pour la charité.
L’Ordre est-il présent dans le Monde Arabe ?
Oui, en Jordanie, Palestine, Égypte, Maroc et au Liban. Donc oui, mais pas dans la péninsule arabique pour l'instant. Encore une fois, nous répondons, nous ne sollicitons pas.
En Israël ?
Non, pas de représentation diplomatique. En revanche, nous avons l'Hôpital de la Sainte Famille à Bethléem, le plus grand hôpital de la région, dans lequel, la seule maternité accueille 5 000 femmes par an notamment pour des cas de néo-natalités, sans distinction de race ou de religion. Inévitablement les Marocains penseront à la visite de Feu Jean-Paul II sous Feu Hassan II, il y a 34 ans... On ne peut oublier cette visite de quelques heures seulement lorsqu'à son arrivée le Pape se mit à genoux pour embrasser le sol du Maroc. Cette rencontre historique entre ces deux hommes qui dépassaient largement le cadre de leurs fonctions, leurs soi-disant périmètres. Visionnaires, chefs d'État et chefs religieux... Hassan II comme Jean-Paul II étaient des leaders charismatiques, des stratèges et experts géopolitiques exceptionnels, parmi les plus écoutés et respectés au monde et qui ont marqué l'humanité, le 20e Siècle.
Un renouveau ou une continuité ?
Les deux. Les Nations-Unies et l'Ordre de Malte en sont les témoins vivants. Il ne peut aujourd'hui y avoir de rapprochement entre les peuples s'il n'y a pas de dialogues et de compréhension, d'acceptation de la religion de l'autre.
À votre avis, quel est l'objectif de cette visite du Pape au Maroc ?
L'objectif, pour ne pas dire le message, c'est de dire que voilà, au Maroc les gens vivent bien ensemble. Les catholiques sont chez eux, les juifs sont chez eux. L'accent sera mis sur cette cohabitation des gens du Livre, musulmans, juifs et catholiques qui vivent leur liberté de culte sous la haute protection du Roi, Commandeurs des Croyants. J'insiste : Commandeur des Croyants avec un S.
Quels en seront les moments forts ?
Le Commandeur des Croyants, descendant du prophète qui invite le Chef de l'Église Universelle. La simple image de ces deux leaders charismatiques, tous les deux des Chefs d'État, tous les deux des Chefs religieux et qui sont tous les deux des autorités reconnues, qui vont se tenir la main devant le peuple, face au Monde, c'est extraordinaire. Le symbole est extrêmement fort...
Le Pape a récemment visité les Émirats Arabes Unis, ces deux voyages sont-ils différents ?
Mon appréciation serait que ces voyages sont différents. Concernant les Émirats, c'est la première fois dans l'Histoire qu'un Pape est invité à visiter un pays du Golfe. C'est donc un exceptionnel message d'ouverture et de tolérance, concrétisé par la signature d'un pacte sur la Fraternité, en présence d'importants dignitaires politiques ou religieux. Au Maroc, il y aura une rencontre directe avec le peuple, un échange entre les hautes autorités en présence des trois religions du Livre et surtout du Commandeur des croyants. À Abu Dhabi c’était la visite d'un chef d'État, toujours évidemment chef de l’Église Universelle au Chef de l'État des Émirats, en Terre d'Islam. La Visite du Pape au Maroc dans sa dimension humaine et religieuse est d'un autre ordre... Il s'agit d'un Chef d'État et Chef religieux à un Chef d'État et Chef religieux... En terre de grande tolérance. Il y a au Maroc des églises et synagogues qui vivent intensément et continuent à exister sous la protection du Commandeur des Croyants.
Quel sera et comment a été défini le programme de ce voyage au Maroc ?
Le plus naturellement du Monde (sourire). Le Pape arrivera par un avion spécial à l'aéroport de Rabat. De là, il sera conduit directement vers l'esplanade de la Tour Hassan, le Saint-Père fera les derniers kilomètres dans l'emblématique "Papamobile", véhicule grâce auquel il ressentira ces émotions et ces vibrations uniques et propres au Royaume. À son arrivée devant le Mausolée il sera reçu selon le protocole dû à un Chef d'État, c’est-à-dire, 21 coups de canon, les hymnes et passages en revue, etc. Sa Majesté et Sa Sainteté prononceront chacun un très important et très attendu discours devant outre les autorités, probablement une grande foule. Ce sera le moment très fort et très historique du voyage. Ensuite le Pape se rendra au Palais pour une rencontre privée avec Sa Majesté. J’espère qu’il y aura toute la merveilleuse Famille Royale. Une Famille exemplaire, belle, dévouée au service de son Pays. Et puis dans les grandes lignes, visite du Centre de Formation Mohammed VI pour la formation des Imams, création du Souverain, 1 600 imams et prédicateurs de toute l'Afrique qui sont formés à cet Islam du juste milieu, cet Islam de la tolérance et pour lequel il faut rendre grâce à la dynastie Alaouite. S'en suivra la visite du centre de l'Église catholique CARITAS pour les migrants et se poursuivra par la visite de l'une des œuvres sociales de l'Église catholique, qui fait la charité d'une manière très humble et discrète, en nourrissant et soignant 300 enfants par jour à Temara. Et bien sûr une grande messe où tous les catholiques, mais aussi les Marocains, musulmans, juifs et toutes les religions sont les bienvenues, qui se déroulera dimanche après-midi au stade couvert Moulay Abdalah à Rabat, avant le départ pour Rome dans un avion Royal Air Maroc.
Quel sera votre rôle, sous-entendu celui de l'Ordre dans l'organisation de ce voyage ?
L'Ordre Souverain de Malte, comme Ordre catholique et laïque, peut prétendre avoir une bonne connaissance de l'Église Catholique et de ses rouages, et en l'occurrence dans mon cas, aussi, de connaître un peu le Maroc. Je suis heureux de faciliter, quand je le peux et réellement ravi de contribuer modestement à l’organisation en offrant mon aide en toute amitié. Il y a un Nonce apostolique au Maroc, Monseigneur Vito Rallo, un Prélat extrêmement intelligent et chaleureux qui est en charge de l'organisation de cette visite du Chef de l'Église en collaboration avec l’Église locale qui elle aussi a invité le Pape qui rencontrera tous les religieux et religieuses à la Cathédrale. Le Nonce met un cœur et une sensibilité qui sont très précieux au service de sa mission de Représentant personnel du Saint-Père près Sa Majesté. Est-il utile de rappeler que l'Ambassadeur du Maroc auprès du Saint-Siège est aussi l'Ambassadeur auprès de L'Ordre ? Oui c’est le cas et c’est formidable !
Prochaine étape pour l'Ordre ?
L'Ordre est millénaire et il n'a pas fini de commencer. Si vous sous-entendez après la visite du Pape au Maroc, alors, continuer à être fidèle à ses traditions d'échange, de tolérance et de soutien aux pauvres et aux nécessiteux.
Pour vous ?
Je suis sincèrement honoré et heureux d’être Ambassadeur au Maroc. La venue du Pape... ? C'est une chance extraordinaire que de pouvoir mettre en exergue le rôle qui nous est confié. Vivre cela est historique !
Après ?
Comme avant, être l'Ambassadeur de toutes ces valeurs de tolérance, charité, humanité qui font de l'Ordre ce qu'il est. Et je précise, au Maroc, ce pays profondément ancré dans mon cœur.
Auteur: Philippe Broc.
