L'histoire du vaccin contre la grippe
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L'histoire du vaccin contre la grippe

Alors que la production d'un vaccin contre la pandémie de Covid-19 fait débat quant à son efficacité, son accessibilité et la gestion de ses stocks sur le long terme, l'histoire du vaccin contre les grippes épidémiques et pandémiques nous apprend que l'invention de ce dernier s'est faite progressivement.



Interroger le phénomène pandémique grâce aux pandémies grippales passées


En effet, l'invention du vaccin contre la grippe qu'elle soit épidémique et/ou pandémique s'est, elle aussi, traduite sur le long terme, montrant que l'histoire des pandémies oubliées du XXe siècle peuvent représenter un formidable outil d'analyse quant au fléau qui touche actuellement les sociétés du monde entier. Car, c'est avant tout grâce aux pandémies grippales qui nous précèdent que nous devons l'émergence de la conscience d'urgence sanitaire aujourd'hui.


Les recherches menées jusque-là par les premiers chercheurs en microbiologie, en virologie et en immunologie, entre 1918 et 1970, ont permis d’accroître, progressivement, la connaissance globale du "phénomène pandémique" jusqu'à aujourd'hui.


Si la grippe est devenue saisonnière, c'est bien parce que plusieurs épisodes de pandémies grippales l'ont précédée, et que nos anticorps ont appris à composer avec les souches grippales antérieures.


Grâce à elles, surtout, que nous sommes parvenus à inventer un vaccin efficace pour combattre les potentielles mutations de ces virus. Pour tenter de mieux comprendre le débat actuel qui agite la société vis-à-vis de la gestion de la vaccination contre la pandémie du Covid-19, tentons d'en analyser le phénomène à l'aune de nos expériences passées.


En particulier, avec la manière dont la vaccination contre les grippes pandémiques s'est mise en place de 1918 à aujourd'hui : un processus qui prend du temps et qui n'a finalement jamais fini de se perfectionner.


Ce n'est qu'à partir de la pandémie de grippe espagnole (1918-1920) que l'on cherche à identifier la grippe et à confectionner un vaccin. Voyons en quoi l'approche sanitaire et épidémiologique vis-à-vis du vaccin, durant les différentes vagues de pandémies grippales du XXe siècle, permet de rendre compte de la complexité du phénomène pandémique en général :


De la grippe espagnole à la fin de la Seconde guerre mondiale : la quête d'un premier vaccin anti-grippal


"Fatalisme sanitaire" et remèdes dérisoires


L'invention d'un vaccin efficace contre la grippe a mis autant de temps à s'inventer que l'évolution de la connaissance du virus lui-même.


En 1918, le monde de la médecine est encore largement persuadé qu'une bactérie (le bacille de Pfeiffer) est responsable de la grippe, d'après les fameux travaux du bactériologiste allemand, Richard Pfeifer.


On la considère également comme banale et "la répétition de sa forme épidémique connue avec la grippe russe de la fin des années 1880". D'ailleurs, dans cet article du Petit journal du 8 juillet 1918, le professeur Fernand Widal, membre de l'Académie de médecine admet, comme de nombreux autres de ses confrères "qu'il n'existe pas de traitement spécifique de la grippe, la guérison se faisant spontanément".


Dans le journal L'éclair du 30 mai 1918, Jules Renault, inspecteur général adjoint des services sanitaires du ministère de l'intérieur, exprime parfaitement bien les limites de la recherche scientifique pour qui la grippe pandémique est encore considérée comme "une simple grippe saisonnière qui devrait bientôt disparaitre".


Autant de bases épidémiologiques fragiles qui ne permettent pas de comprendre la complexité et l'ampleur du virus grippal. On se doute que l'épidémie présente des aspects inhabituels, mais les moyens de la recherche sont insuffisants pour mieux la saisir.


Certes, on commence à rechercher un remède en filtrant les sécrétions des patients, en vantant toute une multitude de remèdes miracles (prise d'antibiotiques, vitamines, aspirine, gargarismes antiseptiques, sérums et des vaccins) mais ils s'avèrent tous aussi dérisoires et inefficaces les uns que les autres. C'est pourquoi on estime que "les gestes barrières et prophylactiques constituent le meilleur moyen pour combattre la maladie grippale".


Première filtration de la grippe en France


Toutefois, il y aura bien eu une découverte fondamentale, mais aussitôt mise de côté, étant donné l'insuffisance de moyens en matière de savoirs et de techniques virologiques de l'époque : un biologiste français, membre de l'Institut Pasteur, le docteur René Dujarric de la Rivière, réussit à filtrer le virus de la grippe, en octobre 1918.


C'est un certain docteur Pettit, chef d'un des laboratoires de bactériologie à l'Institut Pasteur, qui rend compte de la découverte de son confrère, dans Le Gaulois du 24 octobre 1918, affirmant que "même s'il est encore impossible de voir le microbe de la grippe [...] Il a filtré tous les microbes banaux et n'a laissé passer que le virus [...] avant de s'inoculer le produit de la filtration sur lui-même. Après avoir contracté la maladie et s'en être guéri, il s'est de nouveau soumis à l'injection : pas de résultat, ce qui ouvre la porte à une nouvelle médication spéciale à chercher, soit la vaccination, soit la sérothérapie".


Si le microbe a été filtré, l'élaboration d'un vaccin viable relève encore de l'idéal. D'autant que les savants ne partagent aucun consensus sur la forme exacte de ce "microbe à l'origine inconnue".


Les médecins émettent surtout des constatations, des conseils prophylactiques, sans jamais avoir les moyens suffisants pour trouver le remède thérapeutique miracle. Il n'y avait pas grand-chose à faire pour la prévenir et la traiter.


Cette première pandémie grippale du XXe siècle aura eu l'avantage de susciter de nombreux groupes de recherche, réfléchissant à la nécessité d'élaborer un vaccin.


La grippe espagnole conduit à une véritable émulation scientifique, jusqu'aux travaux les plus fantasques. En même temps qu'une prise de conscience de l'urgence sanitaire telle, qu'elle aura très largement contribué à la création du premier ministère français de la santé, appelé "ministère de l'hygiène, de l'assistance et de la prévoyance sociale " en janvier 1920.


Ce n'est qu'en 1931, à l'occasion de l'observation d'une épidémie de grippe porcine, qui s'avère très proche de la grippe humaine dans sa symptomatologie, que le virologue américain, Richard Shope, isole pour la première fois l'agent responsable de la grippe, chez le porc. Il confirme au passage que la grippe est bien un virus et constate que la grippe comprend plusieurs souches différentes.


Un article issu de Les Lettres françaises, du 10 janvier 1947, permet de vérifier, qu'en 1933, des chercheurs du National Institute for Medical Research à Londres, parmi lesquels les virologues Christopher Andrewes et Patrick Playfair Laidlaw, isolent, cette fois, un virus de grippe humaine, qu'ils baptisent "virus A" (plus tard H1N1) révélant que c'est bien lui "qui cause la majorité des infections".


C'est la première fois qu'on commence à fabriquer un vaccin contre la grippe digne de ce nom, même s'il reste encore très nettement expérimental. C'est à ce moment-là que les chercheurs commencent à cultiver les virus via des cultures cellulaires, et des œufs embryonnés.


C'est ensuite Jonas Salk qui prépare un premier vaccin à grande échelle pour vacciner le Corps Expéditionnaire américain en partance pour l'Europe, durant la Seconde guerre mondiale, en 1944-1945. Le biologiste américain reçoit des fonds de l'armée prévus à cet effet. Les années 1940 marquent également la découverte et l'identification des deux autres types de virus grippaux humains existants : le virus B et le virus C. Les chercheurs américains estiment, de leur côté, que le vaccin confère "une immunité variant de six mois à un an" quand les anglais restent, eux, sur la réserve. Toutefois, ces premiers succès de vaccination restent très limités qualitativement, sinon quantitativement. Surtout qu'ils sont réservés aux seules troupes militaires.


Quant à la France, le virologue Claude Hannoun, précise, dans un article de La Tribune du 29 octobre 2009, que "dès 1947, l’Institut Pasteur parvient aussi à isoler la première souche du virus" préparant un vaccin par la même technique que ses homologues américains et britanniques, même si, précise-t-il, "les méthodes restent encore très artisanales et le processus, semi-industriel".


Le chemin est encore long, pour la biologie moléculaire, avant de comprendre que le virus de la grippe implique systématiquement une accumulation de mutations, et la préparation récurrente de nouveaux vaccins à partir de l'évolution des souches virales et des réactions des anticorps humains.


Grippe asiatiques de 1957-1958 et de 1968-1970 : la vaccination prise de vitesse

L'esprit de recherche des virologues reste toujours cantonné à une "logique épidémique et saisonnière de la grippe". On ignore encore beaucoup que l'apparition d'un "nouveau virus" induit une "pandémie", du fait de la recombinaison d'un virus humain avec un virus animal.


En 1957, au cours de la pandémie de grippe asiatique, en France, aucun système sanitaire n'est encore mis en place, ce qui n'aide pas du tout les choses. Comme en témoigne les propos émis par le gouvernement, relayés par Le Monde, le 17 juin 1957 : "L'épidémie ne justifie pas d'inquiétude particulière". Un fatalisme à la hauteur des manques de moyens de recherche pour trouver un vaccin.


Certes, en 1957, le virus H1N1, responsable de la grippe pandémique espagnole est désormais connu, isolé, mais la recherche ignore qu'un nouveau virus vient d'apparaitre. Si le H1N1 est devenu un virus saisonnier, il ignorent que celui-ci mute soudainement, devenant H2N2, et face auquel la population n'est absolument pas immunisée.


Bien que Le Monde du 28 août 1957, informe que "l'institut Pasteur poursuit des recherches sur la préparation d'un vaccin efficace contre cette maladie" ce dernier admet "qu'un vaccin antigrippe n'est ordinairement efficace que contre le virus correspondant, ce qui rend inutile la mise en stock d'un vaccin préparé avec des souches provenant d'épidémies antérieures".


Le nouveau virus asiatique présente des caractères inédits qu'il est impossible de décrypter sur le moment. Et pour disposer d'un vaccin efficace, il est nécéssaire d'actualiser, chaque année, les souches virales qui ont muté. Ce qui ne sera pas fait avant les années 1970.


C'est le même phénomène qui se reproduit au cours de la troisième pandémie grippale (dite de Hong Kong) entre 1968 et 1970. Le virus de 1957 finit par muter. C'est désormais H3N2, inconnu.


Le 30 décembre 1969, Paris-Presse L'Intransigeant relaie le témoignage d'un médecin qui met en cause l'inaction du vaccin car "il ne fallait pas appartenir aux 30 % chez lesquels elle échoue".


Malgré la meilleure des volontés, l'Institut Pasteur ne parvient pas à réaliser un vaccin efficace, l'ignorant lui-même, car comme l'explique l'historien Patrice Bourdelais, dans un article de Libération du 23 mars 2020 "en ne prenant pas en compte la modification du virus, l’efficacité du vaccin en a été largement réduite".


Aujourd'hui, le vaccin anti-grippal continue à s'inventer chaque année


C'est seulement à partir des années 1970, que le vaccin connait une nette amélioration du fait du mélange systématique de différentes souches virales.


C'est à cette époque, que le nombre de vaccins augmente sensiblement, en même temps que décroit fortement la mortalité due à la grippe. La pandémie de Hong Kong a stimulé, comme jamais auparavant, l’intérêt épidémiologique de la grippe, relançant davantage les recherches vaccinales, et aboutissant à une meilleure compréhension de la structure virale et de ses variations.


La mise au point d’un vaccin plus équilibré et efficace, plus souvent remanié, suivant en permanence les mutations du virus grippal, va de pair avec un renforcement manifeste de la politique vaccinale, en particulier à la fin des années 1980, notamment en France, qui opte pour la diffusion gratuite du vaccin auprès des personnes âgées.


La succession d'autres épisodes de risques épidémiques et pandémiques (Grippe porcine en 1976, Grippe russe de 1977-1978, toutes deux de sous-type H1N1) ont contribué au développement de plus larges systèmes de surveillance, de centres mondiaux de référence plus à mêmes de séquencer, analyser le génome de toute une série de souches virales de la grippe, de les isoler plus efficacement et rapidement grâce aux derniers progrès virologiques.


De fait, la qualité de vaccins anti-grippaux s'en est elle aussi transformée significativement. Notamment depuis la dernière pandémie grippale connue, apparue au Mexique, en 2009, elle aussi de sous-type H1N1, descendant directement du virus de la grippe espagnole.


Enfin, ce n'est que, en 2004-2005, que la séquence complète du génome du virus de la grippe espagnole (H1N1) a pu être reconstituée, à partir de tissus humains congelés dans le permafrost, depuis 1918.


Cela ne fait donc que quelques années seulement que l'on connait le détail de la composition de ce virus vieux d'un peu plus d'un siècle, grâce aux prouesses de la biologie moléculaire et aux recherches menées par les équipes du virologue américain Jeffery Taubenberger.


On se rend compte que l'efficacité de la recherche sanitaire, qui a conduit à mieux combattre les différents virus de la grippe, est le fruit d'un long travail de recherche d'analyse, quant à la compréhension des mutations du virus à travers le temps. L'histoire des pandémies de grippe nous apprend qu'il est extrêmement difficile d'en prévoir l'évolution.


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