Depuis plusieurs semaines, la sénatrice de l'Orne Nathalie Goulet (UDI) et la députée Carole Grandjean (LREM) planchent sur le dossier explosif de la fraude sociale en France.

S’inscrivant dans le cadre d’une mission parlementaire demandée par le Premier ministre Edouard Philippe, la députée de Meurthe-et-Moselle Carole Grandjean (LREM) et la sénatrice de l’Orne Nathalie Goulet (UDI) planchent depuis plusieurs semaines sur l’épineux et explosif dossier de la fraude sociale en France et son impact sur les finances publiques. Le rapport définitif présente des mesures chocs et met le doigt sur des dysfonctionnements majeurs.
Le 3 septembre 2019, les deux parlementaires avaient déjà dévoilé une partie de l’avancée de leurs travaux avec une série de propositions susceptibles de lutter contre le phénomène. Premiers constats rapidement et sèchement contestés par les organismes sociaux ou encore l’Insee.
« Ce n’est pas une fraude de pauvre ! »
Les prestations sociales en France représentent 450 milliards d’euros de versés chaque année. Autant dire que le dossier de la fraude sociale est tout aussi crucial qu’explosif, comme le résume la sénatrice :
On doit parvenir à aller jusqu’au bout des choses car c’est une vraie chance que nous a donné le Premier ministre et le Gouvernement de travailler sur une telle mission, c’est une grande première et c’est la preuve que ce dossier est essentiel. Il ne doit pas y avoir de tabous, mais il faut trouver le juste équilibre pour ne pas faire le jeu des extrêmes.
Nathalie Goulet met très rapidement le doigt sur sa conviction profonde : « cette fraude sociale, ce n’est pas une fraude de pauvre ! C’est de la vraie fraude, organisée, pas du petit bricolage de survie… Notre système est pillé par des réseaux bien organisés. »
5 millions de cartes Vitale inexpliquées
A l’appui de son propos elle met en avant les quelque 1000 pages d’auditions des personnes concernées par les aides sociales et la synthèse qui arrive à environ 800 pages.
Je vais prendre comme exemple le seul département de l’Orne. On tombe sur des kinés, des dermato, médecins, infirmières, dentistes, cardiologues, pharmaciens… qui se distinguent par des cumuls d’actes incorrects ou bien la revente de produits à l’étranger, des surfacturations de séances non exercées… les sommes sont plus que conséquentes et nous sommes dans un petit département ! »
Autant dire qu’à l’échelle de l’Hexagone on atteint des sommets.
Et la sénatrice de mettre en avant l’histoire des cartes Vitale qu’elle juge surréaliste :
"Nous sommes environ 66,9 millions de Français. Si on enlève les 12,8 millions de 0 à 16 ans qui ne sont pas obligés d’avoir une carte Vitale, on arrive à un trou de… 5 millions de cartes par rapport aux 59,4 millions de cartes actives qu’annonce la Sécurité sociale dont on ne sait pas d’où elles sortent, c’est le paradis des morts-vivants ! »
Une solution aux yeux des parlementaires serait de connecter la carte Vitale à la durée de vie sur le territoire.
« Une administration qui n’ouvre pas ses livres de compte »
Nathalie Goulet ajoute aussi une dimension surprenante : « 28% de la population ne réclame pas ce à quoi elle a droit, ce sont les non-recours aux droits. Il y a aussi des remboursements indus mais de bonne foi ».
Mais elle s’emporte vraiment contre « l’inertie des administrations. Nous sommes parlementaires et on nous a parfois refusé des accès. On se fait ouvrir plus facilement des prisons que des livres de comptes ! »
Une douzaine de premières propositions émanent du rapport, des mesures pas faciles à mettre en oeuvre. « Mais on ne peut pas se satisfaire du fait que le Gouvernement rende un rapport, il faut maintenant aller au fond des choses, je ne lâcherai pas », relève Nathalie Goulet.

Une question de démocratie Reste qu’à ses yeux, la pierre d’achoppement se trouve dans une évaluation chiffrée quasi-infaisable :
"Nous avons, en parallèle, des prestations chômage qui vont être réduites pour des gens qui en ont besoin et des organismes sociaux qui ne rendent pas de comptes. Nous n’avons pas de chiffres, il va falloir taper du poing sur la table, c’est une question de démocratie ! »
La clé tiendrait dans l’instauration d’un contrôle des caisses, « il faut remettre de l’ordre dans la maison… Avant de prendre de l’argent aux contribuables, prenons le aux fraudeurs ! On assiste à des aberrations comme des prestations sociales versées sur des comptes épargne ou bien sur des comptes à l’étranger… Il faut aussi avoir conscience de ce que c’est susceptible de financer ensuite. »
La sénatrice estime que nous sommes restés dans un modèle figé en 1945 dans une société qui était alors immobile. Aujourd’hui, dématérialisation et décentralisation aidant, « les fraudeurs se sont adaptés, ils sont ingénieux, à l’image de ce que l’on vit avec les entreprises éphémères qui pratiquent le dumping social, fiscal… et déposent le bilan ».
"Et de voir dans ce rapport un « pied dans la porte. Que le Gouvernement s’en saisisse désormais et aille au bout ! »
Dans le rapport, douze premières propositions sont présentées, à savoir :
Accentuer l’acculturation concernant la lutte contre les fraudes sociales, notamment aux prestations sociales.
Organiser l’interconnexion des données et sortir d’une approche uniquement déclarative en s’inspirant du modèle belge de la banque Carrefour de la sécurité sociale, ce qui permettra de lutter efficacement contre le non-recours aux droits, l’erreur réalisée de bonne foi ou la fraude.
Améliorer l’approche a priori : la prévention est le meilleur levier de lutte contre les fraudes.
Adopter des définitions juridiquement claires et communes des notions de domicile social, de vie commune et clarifier la différenciation de la sanction entre fraude, omission et erreur. Le domicile social doit être le même que le domicile fiscal et être automatiquement alimenté.
Prévoir un guide de l’usager afin de mieux renseigner chacun sur ses droits et devoirs.
Accentuer la réactivité de publication des mesures réglementaires.
Renforcer des procédures de contrôles internes.
Sécuriser les données sur lesquelles les organismes de protection sociale et Pôle emploi travaillent et lutter contre la fraude documentaire.
Sécuriser les justificatifs de résidence en instaurant un domicile social qui soit le même que le domicile fiscal.
Renforcer les moyens de contrôle et de lutte contre la fraude à l’encontre de notre système de santé.
Lutter contre les entreprises éphémères.
Faire évoluer la coopération transfrontalière et internationale en développant les accords transfrontaliers visant à organiser le partage de données et les enquêtes conjointes et en renforçant les procédures de vérification documentaire.
Quel type de fraudes ?
Ces fraudes sont facilitées par l’insuffisance des systèmes d’échanges de données : fraudes à l’Etat civil, à l’identité, à la composition familiale, à l’isolement, au lien de parenté, à l’absence de déclaration de décès, à la nationalité. Fraudes à la résidence ; fraudes au logement ; fraudes médicales ; fraudes aux ressources ; fraudes à l’activité ; fraudes aux coordonnées bancaires ; fraudes au RSA ; fraudes transfrontalières ; fraudes réalisées par les entreprises…
Source: www.actu.fr