Nous sommes en 1989. Une jeune Marocaine frappe à la porte de l’immense usine Solvay de Tavaux (Jura). Ilham Kadri vient pour un stage. Elle a 20 ans.
« Une fille discrète mais sympa, avec une forme de solidité, d’assurance », décrit un ancien camarade.
Elle a débarqué trois ans plus tôt de Casablanca, juste après le bac, pour suivre une prépa scientifique à Besançon, et enchaîné avec une licence à Mulhouse.
En stage à Tavaux, elle est chargée d’analyser l’eau de la petite rivière dans laquelle l’usine envoie ses effluents. C’est là, dit l’histoire, que le virus de la chimie la saisit.
Trente ans plus tard, Ilham Kadri s’apprête à revenir à Tavaux, mais dans un tout autre rôle. Oubliée la stagiaire un peu effacée ; bienvenue à la « présidente du comité exécutif ».
Officiellement entrée chez Solvay mardi 1er janvier, elle va prendre la tête du vénérable groupe chimique le 1er mars, après avoir effectué un tour des grands sites.
En octobre, quand sa nomination a été annoncée, certains salariés sont tombés à la renverse. Cela faisait des mois qu’ils attendaient le nom du successeur de Jean-Pierre Clamadieu, en partance pour Engie.
« A la cafétéria, on pensait que ce serait un quinquagénaire, un des membres du comité exécutif comme le Français Pascal Juéry », raconte une cadre.
Surprise : aux candidats internes, le comité des nominations préfère une inconnue de 49 ans, née au Maroc et dénichée aux Etats-Unis par le chasseur de têtes Egon Zehnder. « Sept ans après la fusion Solvay-Rhodia, cela évite de nommer un ancien d’une des deux maisons, c’est plus neutre », analyse un syndicaliste.
« Ce qui a fait la différence, c’est son style de management, sa capacité à transformer l’entreprise, sa personnalité », assure l’Espagnole Amparo Moraleda, l’une des membres du comité des nominations de Solvay
Ilham Kadri est l’une des premières femmes propulsées au sommet d’un grand groupe belge, après Dominique Leroy (Belgacom-Proximus). Et la première dirigeante d’origine africaine pour une société de cette taille en Europe.
Une décision hardie pour une maison aussi classique, toujours contrôlée, cent cinquante-cinq ans après sa création, par les descendants des frères Solvay : les Solvay, les Janssen, les Thibaut de Maisières, les Coppens d’Eeckenbrugge, etc.
Comment l’ancienne stagiaire marocaine a-t-elle été adoubée par cette aristocratie ? De quelle manière a-t-elle cassé le double plafond de verre qui bloque la plupart des femmes et des Maghrébins ?
« Tous les candidats avaient les compétences techniques nécessaires, et le fait qu’elle soit une femme n’a pas joué, assure l’Espagnole Amparo Moraleda, l’une des membres du comité des nominations. Ce qui a fait la différence, c’est son style de management, sa capacité à transformer l’entreprise, sa personnalité. »
Source: www.lemonde.fr