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Disparition : Joël Robuchon, un génie de la gastronomie s'en est allé

Le chef français le plus célèbre au monde s'est éteint lundi 6 août, à l'âge de 73 ans. Visionnaire, il a bouleversé à tout jamais les codes de la haute cuisine.


Le cuisinier aux 24 étoiles vient de rendre son tablier. Joël Robuchon n'est plus et la planète gourmande est en deuil. Le professeur David Khayat l'a soigné et suivi jusqu'à ses derniers moments.


À 73 ans, il a succombé à un méchant cancer qu'il a tenu à distance aussi longtemps que possible, masquant les stigmates de la maladie avec un courage et une élégance rares.


Pour tous, il avait suivi un régime, repensé son alimentation pour s'orienter vers une cuisine plus saine qui, sans être totalement végétarienne, avait banni les graisses et les sucres, faisant la part belle aux légumes et aux cuissons vapeur. Il avait pris ce virage il y a plusieurs années.

Opéré il y a plus d'un an d'une tumeur au pancréas qui l'avait beaucoup affaibli, il se savait malade et avait alors décidé de vendre très discrètement ses établissements à un fonds d'investissement basé en Angleterre et au Luxembourg.


Un contrat de sept ans le liait aux nouveaux propriétaires, l'obligeant contre royalties à maintenir le niveau d'excellence de ses adresses, de les incarner partout dans le monde. En revanche, certaines ouvertures annoncées ces derniers mois ne s'étaient pas concrétisées. Lorsqu'on semblait s'en étonner, il avançait paisiblement des raisons tout à fait plausibles.


Il invente le concept d'Atelier

«L'idée (des Atelier) m'en est venue dans les bars à tapas dont j'apprécie la convivialité. Je cherchais une formule où il puisse se passer quelque chose entre les clients et les cuisiniers»

Joël Robuchon est né à Poitiers le 7 avril 1945, dans une famille modeste - son père était maçon, sa mère, femme de ménage - et très catholique. À douze ans, il entre au Petit Séminaire de Mauléon, dans les Deux-Sèvres, avec l'intention de devenir prêtre. Pourtant, c'est en aidant les religieuses de l'établissement à préparer les repas qu'il se découvre un vrai penchant pour la gastronomie.


En 1960, alors âgé de 15 ans, il débute un apprentissage de cuisinier-pâtissier auprès du chef Robert Auton, au Relais de Poitiers, à Chasseneuil-du-Poitou, puis devient, à 21 ans, Compagnon du tour de France des Devoirs unis. «Poitevin la Fidélité» - tel était le petit nom qu'on lui avait attribué - fait sien, dans ce nouvel environnement, l'amour du travail bien fait, poussant le perfectionnisme à l'extrême. C'est aussi l'occasion pour lui de parfaire sa formation et de s'initier, au fil des maisons et des régions, à d'autres techniques, d'autres façons de travailler.


La Nouvelle Cuisine, encore à ses balbutiements, commence à faire parler d'elle. Il s'y intéressera aux côtés de son mentor, Jean Delaveyne. Il débute sa véritable carrière de chef à la tête du Concorde Lafayette (Paris XVIIe), en 1974. Il a alors 29 ans et dirige une brigade de 90 cuisiniers.


Deux ans plus tard, il accédera au rang de Meilleur ouvrier de France puis, en 1978, occupera la place de chef cuisinier à l'Hôtel Nikko, où il décrochera ses deux premières étoiles Michelin. Il acquerra la troisième dans son propre restaurant Jamin (Paris XVIe), en 1984.


Sacré meilleur cuisinier du siècle par Gault & Millau en 1990, il abandonne néanmoins la restauration à l'âge de 51 ans, en 1996. Rend dans la foulée ses étoiles à l'issue de 30 ans de carrière. Une façon de tourner le dos au stress des services à performance constante, de se remettre du trauma occasionné par les décès prématurés de ses amis Alain Chapel, Jean Troisgros, Jacques Pic. C'est surtout le moment de vivre tout simplement, lui qui, à 50 ans, n'avait encore jamais vu la montagne sous la neige. Il s'installe en Espagne, au pied du Peñón de Ifach, dans la province d'Alicante.


Lassé de la haute gastronomie, des plats hyper techniques et des multiples contraintes d'un quotidien harassant, il se ressource et découvre une autre culture, un autre mode de vie. Cela lui inspirera le concept de l'Atelier, qu'il dupliquera partout dans le monde quelques années plus tard, oubliant son désir de retraite oisive.


«L'idée m'en est venue dans les bars à tapas dont j'apprécie la convivialité. Je cherchais une formule où il puisse se passer quelque chose entre les clients et les cuisiniers» déclarait-il à nos confrères de l'Obs, lors de l'inauguration à quelques mois de distance des Atelier de Tokyo puis de Paris, en 2003.


Le principe était totalement novateur. Pas de réservation et, de fait, des files d'attente interminables, de hauts tabourets autour d'un long comptoir en palissandre et un décor en bichromie rouge et noir imaginé par Pierre-Yves Rochon. Et, surtout, la surprise de petites assiettes époustouflantes, totalement maîtrisées, à partir de produits exceptionnels.


Une purée légendaire

Comme d'autres immenses chefs avant lui (Michel Guérard et la firme Nestlé à partir de 1976), il collabora dès 1987 avec l'agro-alimentaire.


Le groupe Fleury Michon le sollicite cette année-là pour l'élaboration et la mise au point de nouvelles technologies, la marque Reflet de France lui propose aussi une collaboration en 1996, comme le fera le groupe Ariake, à partir de 2007. La caution de ce chef triple étoilé, réputé pour sa rigueur et son professionnalisme, a la vertu de booster les ventes.


Avec son complice Guy Job, il se tourne aussi vers la télévision et produit avec lui des formats inédits. Ce sera «Cuisinez comme un grand chef», une quotidienne, de 1996 à 1999, puis la fameuse émission«Bon Appétit Bien Sûr» qui, de 2000 à 2009, battra des records d'audience et de longévité avant d'être remplacée par l'éphémère «Planète gourmande », en 2011 qui ne durera qu'une saison.


La télévision est pour Joël Robuchon le moyen de s'adresser au plus grand nombre et surtout de transmettre, de rendre la cuisine accessible à tous. Ce timide qui ne communiquait jamais et détestait mettre en avant sa vie privée, prenait très à cœur en revanche sa mission de «passeur». Livres, émissions, formations, tout était bon.


Pour le clin d'œil, il avait accepté de participer en avril dernier à une émission Top Chef, sur M6, où les candidats devaient travailler des recettes autour de la pomme de terre. On devine pourquoi. La purée de Joël Robuchon était devenue iconique dès les années 80.


Un kilo de pommes de terre rattes pour 200 grammes de beurre, une texture pommadée qui l'avait fait passer à la postérité.


Il s'amusait d'ailleurs que ce soit la presse américaine, sous la plume de Patricia Wells dans le Herald Tribune, qui l'ait fait connaître au plan international. Depuis plus de trois décennies, pas un de ses restaurants où elle ne soit réclamée, alors qu'il aurait sûrement préféré - il ne s'en cachait pas - que la tarte aux truffes, la crème de chou-fleur au caviar et les raviolis de langoustines soient ses créations les plus reconnues.


Joël Robuchon avait la réputation d'être exigeant, d'aucuns diront très dur avec les autres comme avec lui-même. Pas vraiment zen, lorsqu'il hurlait devant une assiette mal dressée, terrorisant les commis. Il n'empêche que ses «compagnons», terme emprunté à la franc-maçonnerie à laquelle il appartenait, lui étaient dévoués corps et âme. Antoine Hernandez, Eric Bouchenoire, François Benot, Juan Moll, Philippe Braun, Tomonori Danzaki.... Les mêmes depuis des décennies. Ses fidèles lieutenants.


La purée, pour eux, n'aura sans doute plus jamais le même goût.


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