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Cinéma : Alain Delon et Jean-Paul Belmondo : "Je te hais... moi non plus"

Ils s'aiment. On a essayé de les opposer, ils s'en foutent. Au box-office, Delon et Belmondo ont fait la course en tête. Deux stars au sommet durant un demi-siècle. Un marathon artistique sans équivalent. Ils sont différents, avec des points communs. Ce qu'ils pensent l'un de l'autre ? Ce qu'ils se disent ? Morceaux choisis. Paroles d'homme à homme.


Jean-Paul Belmondo : « L'homme, vraisemblablement débutant comme moi, et qui se trouve là avant mon arrivée, ne montre quant à lui aucun signe d'agacement : pas de pied ou de jambe en métronome, pas de soupirs, pas de mâchoires serrées ou d'yeux furibonds. Au contraire de ma personne, parfaitement tendue, prête à mordre, convaincu qu'ils font exprès de me faire poireauter [les deux acteurs attendent pour passer le casting de “Sois belle et tais-toi”, en 1957].


Je m'enquiers, d'un ton qui trahit mon projet de m'en aller immédiatement, de la longueur de mon calvaire en l'interrogeant sur le sien : “Il y a longtemps que tu es là ?” Il me jette un regard bleu acier et me dit : “Calme-toi, ils sont là.” En effet, je vois les deux grandes portes du bureau s'ouvrir et j'entends qu'on l'appelle : “Alain Delon, vous pouvez entrer.” Il se lève alors et disparaît. Pas pour longtemps cependant, car je retombe sur lui quelques jours plus tard dans mon quartier de prédilection. Entre nous commence une amitié qui ne s'est jamais tarie. »


Extrait de « Mille vies valent mieux qu'une », de Jean-Paul Belmondo, éd. Fayard, 2006.

Famille

Alain Delon : « Il a ce que je n'ai pratiquement jamais eu et que je lui envie : un clan, une vraie famille qu'il assume merveilleusement. Je pense que c'est sa raison d'être, la raison de son bonheur, de son succès et de sa sérénité. Moi j'ai fait cette découverte plus tard, grâce aux enfants que j'ai eus avec Rosalie. »

Paris Match daté du 15 mai 1997, interview de Frédéric Musso.

Cadeaux

Alain Delon : « Pour la première de ma rentrée théâtrale, Jean-Paul m'a fait la surprise de m'offrir un des trois tirages du buste de Vlaminck sculpté par son père. Une merveille ! Je le briguais depuis longtemps et j'avais ­demandé à Pétridès, le grand marchand, de me prévenir si, un jour, il venait à s'en séparer. J'ai été bouleversé quand j'ai découvert le cadeau de Jean-Paul dans ma loge accompagné d'un mot merveilleux […]. Je me suis alors demandé ce que je pourrais bien faire à mon tour. Sachant qu'il est passionné de boxe, j'ai décidé de lui offrir un très beau de mes bronzes de Landowski qui représente Georges Carpentier à genoux devant Jack Dempsey, le 2 juillet 1921. Cette pièce se trouvait en exposition en Allemagne. Elle est ­allée directement de la galerie chez Jean-Paul. »

Paris Match daté du 15 mai 1997, interview de Frédéric Musso.

Amour

Alain Delon : « L'autre matin, j'ai été choqué et peiné par l'accroche plus que maladroite d'un journal : “Jean Dujardin, le nouveau Belmondo.” Dujardin n'y est pour rien. Jean-Paul est souffrant et ce titre maladroit m'a mis hors de moi […]. Les ­acteurs sont des êtres uniques. Comment peut-on, même pour un titre, les réduire à des figures interchangeables ? […] Jean-Paul n'est pas qu'un acteur, il est la star d'un demi-siècle. […] Jean-Paul est mon ami. Pas seulement un confrère de cinquante ans. Je le connais bien. J'ai tourné avec lui, j'ai vécu avec lui, j'ai vibré avec lui, j'ai pleuré et ri avec lui sur des plateaux de cinéma qu'on ne refera plus. Je l'aime et je l'admire, n'en déplaise à ceux qui nous ont opposés dans une rivalité ­absurde. Justement parce que nous sommes uniques dans notre genre, et incomparables, nous n'avons jamais été en concurrence. Ni dans nos vies de cinéma, ni dans nos vies privées. »

Paris Match daté du 20 avril 2006, texte d'Alain Delon.

Carrière

Alain : « Avec Jean-Paul, j'ai le sentiment depuis quarante ans de courir et de disputer un marathon. Tantôt il a été le premier, tantôt j'ai été le premier. Nous avons pendant longtemps couru dans un mouchoir de poche. […] Je crois avoir, jusqu'à maintenant, mené une carrière exceptionnelle. Je le dis sans orgueil mais avec fierté, et Jean-Paul, sur ce terrain, n'a rien à m'envier. »

Paris Match daté du 26 mars 1998, interview d'Henry-Jean Servat.

Jean-Paul : « Lorsque je regarde ce qu'a fait Alain au cinéma et ce que j'y ai fait, moi, je ne peux que constater une évidence. Nous sommes de la même famille même si nous avons suivi des chemins différents. Dans “Kean”, pièce que j'ai beaucoup jouée au théâtre, une réplique dit “qu'on est acteur comme on est prince : de naissance”. Alain l'est, comme moi. […] Nous sommes complémentaires. Nous aurions pu jouer dans la même équipe de football ensemble, interpréter des sketches au cabaret de concert ou disputer des combats de boxe comme adversaires. »

Paris Match du 26 mars 1998, Interview d'Henry-Jean Servat.

Ambition

Jean-Paul : « Quel est le moteur d'Alain ? Une volonté et une ambition énormes dans le bon sens du terme. C'est un gagneur. Je suis persuadé que s'il avait été boxeur il serait devenu champion du monde. Son retour au théâtre par la grande porte, alors qu'il n'avait pas joué depuis longtemps et qu'il était attendu au tournant, ­restera dans les annales. »

Paris Match du 15 mars 1997, Interview de Frédéric Musso.

Jean-Paul : « Nous sommes proches en dépit d'une divergence évidente d'origine sociale. Son enfance a été aussi triste, pauvre et solitaire que la mienne a été joyeuse, bourgeoise et pleine d'amour. Nos passés nous ont certainement condamnés à être, l'un ténébreux, l'autre malicieux, mais nous avons en commun un désir d'aventure, un plaisir viscéral à être acteur, une sincérité dans le jeu. Le hasard nous a épargnés en nous évitant la concurrence. Le seul rôle que je devais tenir et qu'il aura finalement eu sera celui de “Mr Klein”. Et encore, nous ne serons pas en lice en même temps. Costa-Gavras qui n'aura pas réussi à trouver les fonds pour monter son film abandonnera le projet jusqu'à ce qu'Alain décide d'aider le réalisateur [Joseph Losey] à le produire. Il était parfait dans la peau de cet homme traqué par les nazis, bien mieux que je ne l'aurais été. »

Extrait de « Mille vies valent mieux qu'une », de Jean-Paul Belmondo, éd. Fayard, 2006.

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