Pour le Grand Paris Express, l’année 2018 est celle des tunneliers. Ils commenceront à creuser sur le chantier entre la gare de Noisy - Champs et la gare Bry - Villiers - Champigny. L’occasion de remonter le temps pour se rendre compte qu’il s’agit d’une invention relativement récente.

Ce n’est pas sans raison que les Grecs plaçaient les Enfers sous terre. Depuis la plus haute Antiquité, l’homme creuse, principalement des mines et des carrières, pour en extraire des minerais et de la pierre. Source de grandes richesses – la version romaine d’Hadès, Pluton, signifie « riche » -, l’activité de creuser est hautement risquée du fait des possibles effondrements. Un risque fluctuant selon la nature du sol creusé, s’il est ferme, meuble ou gorgé d’eau. Exploitée pour édifier les immeubles de l’époque haussmannienne, la couche intermédiaire des bancs de roche située à une vingtaine de mètres dans le sol parisien tient bien.
En revanche, les terrains des mines dans l’est et le nord de la France demandent plus d’attention. Il faut alors avancer sous la protection d’un abri et soutenir le toit du terrain que l’on creuse. D’où l’idée de créer des engins capables de remplir ces deux fonctions : c’est l’invention du bouclier. Et ce n’est donc pas un hasard si ces boucliers ont vu le jour pendant la révolution industrielle, dans son berceau historique : en Angleterre.
D’un objectif de protection à celui de la rapidité
Nous sommes en 1825. L’ingénieur français Marc Isambart Brunel participe au creusement d’un tunnel sous La Tamise, à Londres. C’est lui qui applique pour la première fois le système de bouclier métallique rectangulaire. Concrètement, il s’agit d’une coque qui se déplace au fur et à mesure de l’avancée de la galerie. Long de 366 mètres, ce passage - toujours utilisé - est creusé en 16 ans.
On réalise le blindage en briques pour consolider provisoirement les parties latérales et le toit. Attention, ce bouclier ne ressemble en rien, à ce stade, aux tunneliers d’aujourd’hui : il n’est même pas mécanisé.

Premier bouclier utilisé pour creuser le tunnel sous La Tamise
Les premiers tunneliers avaient donc pour vocation de protéger les ouvriers. Avec la volonté d’en accélérer la cadence de rendement, les ingénieurs vont chercher à les moderniser. Comment ? En améliorant le creusement et l’excavation. La coque en déplacement s’étoffe : pendant qu’un bras rotatif rappe le devant, des cintres, espacés les uns des autres, sont déposés juste derrière cette coque pour le soutènement. Entre chaque cintre est disposé des bastaings de bois ou de feuille de métal. Le bois présente un précieux avantage puisqu’il craque bruyamment avant de céder, prévenant les mineurs d’une catastrophe à venir. Au contraire, le métal se déforme dans le silence.
Par la suite, les briques puis le béton servent au revêtement définitif du tunnel.
Le milieu du XIXème siècle a vu des innovations majeures que sont l’utilisation de l’air comprimé pour contrebalancer la pression de l’eau contenue dans les couches de terrain et la réalisation du revêtement définitif composé de voussoirs en fonte, avec blocage du terrain par coulis de ciment. Le premier tunnelier réellement opérationnel est inventé par Frederick Beaumont puis amélioré par Thomas English : ce sont les « machines de Beaumont-English ». En 1882, elles commencent à percer un tunnel dans la craie des deux côtés de la Manche. Un projet avorté.
La révolution Robbins
Une étape décisive est franchie avec l’apparition dans les années 1950 des tunneliers « pleine face », avec la machine américaine Robbins, qui dispose d’un plateau rotatif de 8 mètres de diamètre, pour excaver au rocher. C’est cet engin qui creuse le RER A dans les années 1960. Mais il faudra attendre la fin des années 70 pour que l’activité des tunneliers connaisse un réel essor en France, avec leur utilisation pour creuser les galeries de métros à Lille, Rennes, Lyon, Toulouse et Marseille. Et surtout celles du Tunnel sous la Manche.
La technologie des tunneliers n’a cessé de se perfectionner et la taille des machines a considérablement augmenté. Des tunneliers d’une taille de 14 mètres de diamètre étaient exceptionnels il y a 10 ans ; ils sont aujourd’hui courants et il est question d’atteindre les 19 mètres. Le nombre de machines fabriquées et mises en œuvre a augmenté de façon exponentielle des 20 dernières années. L’entreprise sarroise Herrenknecht, employant de nombreux Français, en est le leader mondial.
Aujourd’hui, on est capable d’analyser les terrains pendant la phase de creusement, de guider la machine à l’aide de satellite, on avance au rythme de 12-15 mètres par jour. Et bientôt, la pose des voussoirs sera robotisée. Les concepteurs des premiers boucliers envieraient certainement les tunneliers actuels. C’est cette technologie qui a été retenue pour creuser la quasi-totalité du tracé du Grand Paris Express. En faisant le choix du tunnelier, la Société du grand Paris a opté pour davantage de sécurité, de rapidité et d’un minimum de perturbations en surface, en milieu urbain très dense.
Seules les galeries techniques reliant des puits de secours et de ventilation au tunnel ainsi que les ouvrages d’entonnement seront construits selon des méthodes dites « traditionnelles » employant une mécanisation plus légère. L’année 2018 écrira une nouvelle page de l’histoire des tunneliers avec leur entrée en action sur le chantier de la ligne 15 Sud. Au total, le Grand Paris Express mobilisera une trentaine de tunneliers, dont vingt travailleront simultanément. Du jamais vu en Europe.
Source: www.societedugrandparis.fr