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Le monde automobile : une citadelle de moins en moins interdite aux femmes

Dans un milieu de l'automobile dominé par les hommes, les femmes réussissent petit à petit à se faire une place en dépit du sexisme ambiant, des discriminations et des inégalités salariales.

Expertes, designers, pilotes, et même PDGères ou bien garagistes à la tête de leur petite entreprise, elles mettent à leur manière les mains dans le cambouis, loin, très loin du cliché de la salopette bleue ou des hotesses des salons internationaux.


Bienvenue dans un monde d'hommes, celui de l'automobile, où il fait bon écouter la douce musique des moteurs vrombissant, où l'on respire à pleins poumons effluves d'essence, de cuir, de caoutchouc brûlé, sur fond de crissement des pneus sur l'asphalte de circuits d'essais, où l'on caresse les courbes rutilantes et sensuelles d'un nouveau modèle de bolide, un monde où performance, puissance et vitesse dictent leur loi.


Ce monde reste-t-il reservé aux hommes ? La réponse est oui et en même temps plus tout à fait...


Exemple avec tout d'abord ces trois femmes, rencontrées par l'AFP, en marge du Salon mondial de l'automobile de Détroit au Canada, en cette troisième semaine de janvier 2018.


Maryann Keller, 74 ans, Michelle Krebs, 62 ans, et Rebecca Lindland, la quarantaine : analystes du secteur automobile dont elles connaissent à fond les arcanes, elles sont régulièrement sollicitées par les journalistes et les experts pour commenter la bataille entre constructeurs américains et japonais, les ambitions de Tesla ou encore le bras de fer BMW-Mercedes-Benz. Elles sont formelles : elles n'étaient pas bienvenues dans le "Old boys' club" automobile.


Les femmes, pas bienvenues au club automobile

"Quand j'ai débuté, il y avait beaucoup de scepticisme. Certains pariaient que j'allais faire long feu", raconte Michelle Krebs, analyste chez AutoTrader.com. "Je n'étais pas prise au sérieux", enchérit Maryann Keller, qui a longtemps été analyste financière à Wall Street, un autre univers masculin, avant de devenir experte auto et a monté son propre cabinet Maryann Keller & Associates. "Il y a eu des incidents débiles", poursuit-elle, évoquant notamment des "commentaires très inappropriés" d'un commercial lors d'un voyage professionnel. Elle hésite, marque une pause et finalement préfère le garder pour elle.


"Quand nous allions tester les véhicules, personne ne voulait monter avec moi" Michelle Krebs, journaliste et analyste auto


Michelle Krebs et Rebecca Lindland évoquent le manque de considération, les discriminations et le sexisme dont elles disent avoir été victimes. "J'ai toujours eu l'impression que je devais faire mes preuves, que je devais en faire plus", narre la seconde.

"Il y avait des liens et des cercles entre les hommes auxquels les femmes n'avaient pas accès. Je ne jouais pas au golf, la pêche n'était pas un hobby, et je n'étais pas passionnée par les courses de voitures", dit la première. "Quand nous allions tester les véhicules, personne ne voulait monter avec moi", se souvient cette ancienne journaliste, qui a débuté sa carrière dans l'automobile en 1980 dans un journal local du Michigan (nord des Etats-Unis).

Première femme à évaluer les voitures pour le prestigieux New York Times dans les années 1990, Michelle a attiré les insultes de lecteurs misogynes. "Les femmes n'ont rien à faire à écrire sur les voitures. Leur place est à la cuisine à préparer des cookies", lui écrira un abonné texan.


Pour Rebecca, passionnée des voitures dès 9 ans et analyste chez Kelley Blue Book, les salons automobiles s'apparentent à des cauchemars: "On considère que je ne suis pas là pour travailler".


Si elles disent gagner la même chose que leurs collègues masculins, elles affirment que ça n'a pas toujours été le cas. "Il ne fait aucun doute dans mon esprit que moi et des collègues féminines avons été payées moins (...). C'est probablement la chose la plus frustrante et agaçante pour moi", avance Rebecca. Les groupes automobiles ont fait ces dernières années des efforts pour attirer des femmes mais la plupart des états-majors restent masculins.


Mary Barra, la grande patronne de General Motors


A quelques exceptions près... L'Américaine Mary Barra, aux commandes de General Motors depuis 2014, est l'une des rares femmes patronnes d'un grand groupe automobile. "Son ascension a été déterminante pour les femmes. C'était la preuve que le plafond de verre pouvait être percé", avance Maryann Keller, qui se souvient toutefois que de nombreuses questions sur la légitimité de la patronne de GM étaient apparues à l'époque, ce qui n'a pas été le cas, selon elle, lors de la nomination en 2017 de Jim Hackett à la tête de Ford. Ce dernier n'avait pas grande expérience dans l'automobile à la différence de Mme General Motors, qui a fait toute sa carrière dans ce secteur.


"C'est parce qu'elle était une femme", estime Maryann Keller, qui assimile la perception des femmes dans l'automobile à l'approche des constructeurs vis-à-vis de cette clientèle. "Jusqu'aux années 90, quand une femme allait chez un concessionnaire, ce dernier se disait + elle va finir par ramener son mari, son frère ou son père +", avance-t-elle.


Il a fallu souvent de nombreuses années à ces trois femmes pour gagner le respect. "Je me souviendrai toujours du jour où ils m'ont dit, maintenant nous savons que tu as de l'essence dans le sang", sourit Rebecca.


Lynda Jackson, 60 ans, dirige Citroën depuis 3 ans. Née en Grande-Bretagne, elle a imposé une vision "plus pragmatique" à l'entreprise et nommé exclusivement des femmes au bureau de recherches.


Un groupe de têtes chercheuses exclusivement féminines pour imaginer les voitures de demain

En France, la célèbre marque aux chevrons, procréatrice de notre Deudeuche (2CV)(inter)nationale, Citroën est comme sa cousine américaine GM, dirigée par une femme, Lynda Jackson, une Britannique alors âgée de 56 ans lors de sa nomination en 2014 (comme Mary Barra!).


Une arrivée surprise comme le précise Capital.fr, qui la présente en titre comme une "fonceuse". En quête d'efficacité, la nouvelle patronne a très vite recadré les horaires : 8 heures - 18 h 30. Adieu les journées à rallonge, où l'on se sent obligée de hanter les bureaux jusqu'à 21 heures. "J'estime qu'après 19 heures on n'a plus les idées claires", confie-t-elle aux journalistes. Baptisée "Lady marketing", Lynda Jackson a aussi très vite voulu lancer la marque vers une nouvelle direction, dans laquelle la relation avec le client est prépondérante, ainsi elle a décidé de nommer "un groupe de têtes chercheuses exclusivement féminines, qui imaginent la voiture de demain".


"C’est un milieu masculin à l’origine, car l’objet est mécanique. Mais l’objet en tant que tel est un objet d’émancipation extrêmement fort pour les femmes".

Estelle Rouvrais, directrice de la communication chez Citroën

"Parce que ça touche à la mécanique, on a tendance à penser que l’automobile n’est pas un milieu ouvert aux femmes. Ce n’est pas du tout le cas. Au contraire, il y a de plus en plus de femmes dans l’industrie automobile. Dans les postes de communication et de marketing, évidemment, mais pas seulement. On trouve aussi beaucoup de femmes dans les équipes de Recherche et Développement", explique Estelle Rouvrais, directrice de la communication chez Citroën, dans Elle magazine. "C’est un milieu masculin à l’origine, car l’objet est mécanique. Mais l’objet en tant que tel est un objet d’émancipation extrêmement fort pour les femmes. Aujourd’hui, un conducteur sur deux est une femme", ajoute-t-elle.

Un marché que les constructeurs ne peuvent donc ignorer. Beaucoup ont pris en compte cette nouvelle donne, et certains en font un argument de vente et présentent la voiture comme un outil féminin, voire ... féministe. A l'image de ce clip publicitaire réalisé pour le suédois Volvo. Ici, pas de démonstration de vitesse ou de tenue de route, si le véhicule apparaît en filigrane, on suit une fillette en train d'imaginer sa vie de femme, sa mère lui dit "C'est toi qui décide, si tu es heureuse, moi aussi".


"Il a la voiture, il aura la femme"

Audi constructeur automobile, 1993

Un discours qui ferait presque oublier les messages ultra-sexistes véhiculés il y a peu de temps encore. L'un des plus "illustres" remonte à 1993. Signé de l'Allemand Audi, son slogan pourrait faire penser à une blague aujourd'hui : "Il a la voiture, il aura la femme". A l'époque, le clip avait malgré tout suscité un certain émoi, poussant le constructeur à finalement retirer son film.

Madame la garagiste

Loin des hautes sphères des grands constructeurs mondiaux et de leurs arguments publicitaires, plus près de nous, des femmes se lancent dans la mécanique, certaines pour raisons pratiques ou économiques et d'autres en font leur métier.


En France, il existe plusieurs applications ou sites internet, créés par des femmes, avec des tutos permettant d'apprendre à faire une vidange, changer des plaquettes de freins, des manipulations techniquement bien plus difficiles que le classique changement de roue ou simple remplissage de liquide à essuie-glaces.


Succès garanti et confirmé pour Mecagirl, et son site Lamécaniquepourlesfilles.com. A travers ses publications, on apprend à la fois tous les rouages des nouvelles directives européennes concernant le contrôle technique obligatoire des véhicules qui entreront en vigueur dès le mois de mai 2018, ou comment changer soi-même les bougies d'allumage.



Sur France Inter, on fait aussi la rencontre de Souad Boudjella, 35 ans, qui après un accident du travail, abandonne son activité d'aide à domicile pour monter son garage dans le quartier du Mirail à Toulouse. Un quartier où elle a grandi, à la si mauvaise réputation mais dans lequel elle a prouvé que monter son entreprise était possible.


Elle a aujourd'hui deux salariés. Lauréate du 16ème prix Talent des Cités, elle organise aussi des stages pour les femmes du quartier afin qu'elles acquièrent une certaine autonomie, en leur apprenant à faire de petites réparations, les bases de la mécanique, et comment entretenir une voiture.


Femmes au volant...

Dans son blog Charlotteauvolant.com, Anne-Charlotte Laugier se présente ainsi "Je suis une fille et alors ? J'essaie des voitures et j'en parle. Je suis l'actu de l'automobile et j'en parle. Est-ce que ce blog est différent des autres parce que je suis une fille ? ​Allez savoir." Sur un ton léger, la blogueuse donne des infos et fait part de son humeur de "femme au volant". Ainsi pour 2018, la journaliste dresse une liste de ses mauvaises résolutions : "Je n’ai pas envie d’être une automobiliste trop parfaite de risque que les autres s’ennuient. Imaginez si je n’étais plus un danger public. Plus personne n’aurait besoin de sauter dans un bosquet à l’arrivée de CharlotteAuVolant. Pas vraimant amusant." Dans l'émission Turbo sur M6, la journaliste a aussi enquêté sur les moyens de séduction mis en oeuvre par les constructeurs à l'adresse du marché féminin.


"Un jour, il va falloir arrêter de dire que les femmes ne savent pas conduire. En rallye, sur circuit ou encore en NASCAR, de nombreuses femmes nous prouvent que le talent n’est pas une affaire de genre", lit-on chez nos confrères d'Automoto.com à l'occasion du 8 mars 2016, dans un article rendant hommage à quelques femmes pilotes ayant marqué l'histoire du sport automobile.


"Je détestais quand un journaliste me demandait de sourire pour la photo à la fin d’un rallye".


Michèle Mouton, championne pilote de rallye


Parmi elles, Michèle Mouton qui a "marqué l’opinion au volant de son Audi Quattro en remportant quatre rallyes de championnat du monde au total (Sanremo 1981, Portugal 1982, Acropole 1982, Brésil 1982) et deux fois la course de côte de Pikes Peak (dont une fois au classement général)".




Née à Grasse en 1951, Michèle Mouton rêvait de travailler dans le social. Aux côtés de Christine Dacremont et Marianne Hoepfner, elle remporte les 24h du Mans en 1975. Dans la France post-68 où les hommes sont plus souvent au volant que les femmes, cette première victoire la fait entrer dans la légende. Elle deviendra en 1981 la première femme à remporter un rallye, celui de Sanremo en Italie. "Je comprends pourquoi j’étais une attraction, étant la première femme dans les championnats. Mais je détestais quand un journaliste me demandait de sourire pour la photo à la fin d’un rallye. Je leur répondais : Ok, va chercher Blomqvist ou Mikkola, demande-leur de sourire aussi, et reviens vers moi", confie-t-elle sur le site Redbull.com.


Surnommée à l'époque "Le beau volcan noir" par la presse, en raison de son caractère bien trempé et de ses longs cheveux bruns, la vice-championne du monde n’a jamais abandonné le monde de l’automobile et "affirme n’avoir eu aucun problème dans un sport où peu de femmes se sont imposées". Aujourd’hui, elle est "manager général" du WRC (Championnat international de rallye) et se consacre à la sécurité des courses.


Mais elle continue le combat comme présidente de la commission « Femmes en sport automobile », lancée par la fédération internationale (la FIA) en 2010. " Quand un pilote porte un casque et des gants, je défie quiconque de distinguer un homme d’une femme. Les femmes ont déjà prouvé et prouveront encore, qu’elles ont leur place partout, y compris dans un baquet de Formule 1", explique-t-elle l'an dernier dans Ouest-France. "Bien carossée", "elle en a sous la pédale", "joli chassis", "courbes sensuelles", "double airbag"... Qu'on ne s'y trompe pas, on parle bien ici de voitures. Et pour ce qui est de la bonne position au volant, les femmes, qu'elles soient championnes de l'asphalte ou conductrices saoudiennes, auraient de bonnes leçons à donner à certains. En premier lieu, ce journaliste à l'origine de cette vidéo tournée lors du salon de l'auto de Bruxelles 2015.




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