La journaliste et autrice Titiou Lecoq vient de publier un livre inclassable et passionnant. Bourré d’humour, cet essai féministe se penche sur la répartition des tâches ménagères, avec en ligne de mire une question : comment en est-on arrivé là ?

Passer l’aspirateur, c’est déjà pénible… On ne va pas en plus se farcir 260 pages sur les tâches ménagères, non ?! Eh bien, vous auriez tort. Titiou Lecoq, journaliste notamment pour Slate et romancière, réussit à rendre le sujet passionnant dans son dernier livre, Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale.
Pour elle, tout a commencé avec une chaussette sale abandonnée sur le sol. La chaussette de trop qui lui fait réaliser que la répartition des tâches ménagères dans son couple - par ailleurs plutôt moderne et féministe - est loin d’être égalitaire. La trentenaire décide alors de prendre le sujet à bras-le-corps en étudiant les statistiques de l’Insee et en se plongeant dans les travaux de sociologues, d’historiens et de féministes.
Le résultat, c’est un essai brillant et ultra-documenté sur les tâches ménagères et leur (inégale) répartition. Un livre qui se lit très facilement grâce à l’humour de son autrice et aux nombreuses anecdotes personnelles et savoureuses qui émaillent le récit.
Depuis 25 ans, la répartition des tâches ménagères ne s’est pas améliorée
Vous y apprendrez, entre autres, que des cours d’éducation ménagère pour les filles ont été instaurées à l’école au XIXème siècle, que le féminisme peut percer le tympan d’un bébé (si si, je vous assure) et que depuis 25 ans la répartition des tâches ménagères entre les hommes et les femmes ne s’est pas améliorée en France.
Et si vous avez l’impression que chez vous, ça va… Sachez que la situation pourrait bientôt s’aggraver. “Les statistiques sont formelles : l’arrivée du premier enfant accentue fortement le déséquilibre dans la répartition des tâches ménagères chez les couples hétérosexuels - même chez ceux qui tendaient vers une forme d’égalité”, écrit Titiou Lecoq.
Le sujet n’est en tout cas pas superficiel. Ces inégalités ont des conséquences très concrètes sur la vie des femmes, au premier rang desquelles l’épuisement maternel. Ainsi, 67% des mères qui travaillent dorment moins de 7h par nuit et 63% des mères qui travaillent sont épuisées.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Titiou Lecoq aborde aussi le sujet des réseaux sociaux et à quel point l’image parfaite renvoyée par certaines influenceuses aux enfants bien peignés et aux intérieurs bien rangés sur Instagram peut créer de la frustration et de la culpabilité.
Le livre fait ensuite le lien entre la répartition des tâches ménagères et les autres combats féministes comme le harcèlement de rue et les inégalités professionnelles. Car il existe une sorte de cercle vicieux : si le foyer est vu comme le lieu de prédilection des femmes, alors elles peuvent percevoir le monde extérieur comme dangereux pour elles et donc à terme se replier sur l’intérieur, et ainsi de suite. Une manière de comprendre que le ménage est aussi politique.
Enfin, une conclusion coup de poing rappelle, chiffres à l’appui, que le combat féministe est loin d’être gagné dans notre pays, n’en déplaise à ceux qui se plaignent des “féminazies”. Cet essai se lit d’une traite en pouffant et en grinçant un peu des dents parfois. A mettre entre toutes les mains et surtout celles de celui qui partage votre vie (et le panier à linge sale).
L’extrait
“Evidemment qu’elle est vivante cette putain de chaussette ! Sinon comment expliquer sa présence récurrente par terre ? Elle essaye de s’enfuir. C’est tout. Preuve ultime, nombre de ses soeurs ont déjà réussi leur évasion, on ne les a jamais revues. Pourquoi cette chaussette est-elle là ; pourquoi cherche-t-on à me torturer ; et, surtout, pourquoi est-ce que ça me rend dingue ? Commençons par une réponse simple : parce que je suis une femme et que je vis avec un homme et deux enfants et que, conséquemment, les corvées, c’est pour ma gueule.”
Titiou Lecoq, Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale, Ed. Fayard, 260 pages.
Article par Clémence Boyer pour www.start.lesechos.fr