Effective à partir de jeudi, la fin des frais de «roaming» pour le mobile dans l'ensemble de l'Union européenne permettra aux consommateurs de faire des économies. Les opérateurs, eux, perdront une manne importante.

Cet été et pour la première fois, les dizaines de millions de mobinautes européens (754 millions d’abonnements souscrits dans l’UE à la fin 2016) en vacances à l’intérieur de l’Union européenne pourront passer, prendre leurs appels et consulter leurs mails sur les plages sans s’angoisser sur le montant de la douloureuse qui les attendra de retour à la maison. Au terme d’un long combat de plus de dix années pour imposer aux opérateurs la fin des surcoûts payés lors de l’utilisation de son mobile à l’étranger, la Commission européenne a obtenu leur suppression définitive dès jeudi.
L’Europe des consommateurs
Menée au nom de la défense des consommateurs et de l’avènement d’un marché unique du numérique dans l’UE, cette abolition des frais d’itinérance va mettre fin pour les opérateurs à une rente très confortable : selon la Commission de Bruxelles, le «roaming» intra-européen représente 1% à 2% des revenus des centaines d’opérateurs du vieux continent et son extinction devrait entraîner une perte de 1,2 milliard de revenus pour le secteur.
«C’est historique, car c’est la première fois dans l’histoire de l’Union européenne qu’une mesure à 100% favorable aux consommateurs et appliquée sur tout son territoire est imposée à tout un secteur économique», a déclaré il y a quelques jours à La Libre Belgique l’ex-commissaire européenne au numérique luxembourgeoise Viviane Reding, qui avait commencé à mettre son nez dans la jungle tarifaire du roaming en 2004. «Cela ne s’est jamais vu par le passé, puisque l’Union n’a pas l’habitude ou la vocation d’intervenir sur les prix d’un marché libéralisé. C’est une intervention exceptionnelle face à un blocage exceptionnel des télécoms», poursuit-elle. En revanche, les appels à l’étranger passés depuis son pays de résidence et d’abonnement continueront d’être payants.
Une pratique de plus en plus encadrée
Depuis plusieurs années déjà, l’Europe avait commencé à mettre bon ordre dans le maquis tarifaire du «roaming». Ses prix ont été encadrés, ce qui a conduit à réduire en moyenne de 92% les prix des appels et des SMS depuis 2007 et de 96% celui des données lorsqu’on les télécharge en itinérance depuis 2012. En cas d’abus avéré, comme lorsque l’on achète une carte SIM dans un pays réputé pour ses bas coûts tarifaires (comme la France par exemple) pour l’utiliser dans un autre plus onéreux, l’opérateur pourra d’ailleurs continuer d’appliquer des frais d’itinérance à raison de 4 centimes par minute d’appel, 1 centime par SMS et 0,85 centime par Mo de data.
Il s’agit du plafond des prix de gros que les opérateurs se facturent entre eux en Europe. Car s’ils seront gratuits pour les consommateurs, les frais d’itinérance seront maintenus pour les opérateurs qui se les refacturent entre eux. Mais ces coûts de gros sont bien loin des 70 à 80% de marge nette que les opérateurs ont pu dégager pendant de nombreuses années grâce à la vache à lait que constituait le roaming. Et si cette pratique disparaît en Europe, ce ne sera pas le cas dans le reste du monde qui inclut Monaco, Andorre, la Suisse ou encore le Lichtenstein.
Guerre commerciale
Anticipant depuis longtemps la fin de l’itinérance dans l’UE, les opérateurs ont pris les devants depuis plusieurs mois pour en faire un argument commercial, étendant leur gratuité à d’autres pays non européens. Dès le mois de mars, Free a annoncé que son forfait à 19,99 euros (15,99 euros pour les abonnés Freebox) comprend désormais le roaming vers l’Europe mais aussi des pays plus lointains comme les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et Israël (35 en tout).
Orange, qui prévoit que la nouvelle réglementation européenne va entraîner un manque à gagner de 130 millions d’euros sur son résultat avant impôts et taxes, a annoncé à la mi-mai mettre fin à ce surcoût pour tous ses clients en dehors de ses offres low-cost et Bouygues a également revu sa gamme tarifaire en lançant de nouveaux forfaits incluant la gratuité du roaming dans de nombreux pays. Seul SFR (propriétaire de Libération), qui inclut dans une de ses offres récentes trois fois plus de consommation de data à l’étranger (15 go), maintiendra la facturation du roaming jusqu’à la date fatidique du 15 juin.
La consommation de données en forte hausse
Les opérateurs font le pari que ces nouvelles offres leur permettront d’attirer plus d’abonnés afin de compenser en partie la fin du roaming en Europe. Mais selon les observateurs du secteur, cette stratégie visant à attirer les clients vers des forfaits revus à la hausse en jouant sur la consommation étendue – voire illimitée – de données qui augmentent chaque année de 60% dans le monde ne permettra que très marginalement d’augmenter l'«arpu», le revenu moyen par abonné qui constitue le baromètre des opérateurs. Seul l’Allemagne, où la plupart des opérateurs ont réussi à augmenter de plusieurs euros leurs forfaits en 2016; fait figure d’exception.
Au total et en incluant le marché européen qui va s’éteindre, les frais d’itinérance représentent en moyenne 5% du chiffre d’affaires des opérateurs dans le monde. Reste que ces derniers pourraient être tentés, afin de limiter les frais, de dégrader la qualité du réseau disponible pour certains de leurs abonnés à l’étranger pour limiter la consommation de données. Bruxelles ne fixe en effet pas d’obligations pour la qualité du réseau à l’étranger et certains abonnés en 4G pourraient être limités à un accès en 3G lorsqu’ils se trouvent en dehors de leur pays.
Source: www.liberation.fr