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Technologie: Qui dit voiture autonome dit route intelligente

Si l’arrivée de la voiture autonome sur nos routes semble beaucoup plus rapide que ce à quoi s’attendaient les experts, les infrastructures vont devoir évoluer afin de faire baisser significativement le nombre d’accidents. La route doit elle aussi devenir communicante.


Le 7 mai 2016, Joshua Brown trouve la mort sur une autoroute américaine alors que sa Tesla Model S était en mode Autopilot. Cet infortuné fan de Tesla restera dans l’histoire comme la première victime causée par une erreur de conduite d’une voiture autonome, ou plutôt par les limites des capteurs embarqués dans la voiture.


Le soleil à contre jour n’aurait pas permis à la caméra embarquée de détecter le camion qui obstruait la voie sur laquelle se déplaçait à vive allure la voiture autonome. Si l’amélioration des capteurs et des logiciels peut faire espérer des progrès quant à la sécurité apportée par ces modes de conduite autonomes, l’infrastructure ou même les autres véhicules ont aussi un rôle à jouer pour améliorer la sécurité routière. Ainsi, si une caméra de surveillance de l’autoroute avait automatiquement détecté le camion arrêté ou même les véhicules environnant avaient pu transmettre l’information à la Tesla, peut être que la vie de Joshua Brown aurait pu être épargnée.


V2X, un Wifi pour faire communiquer véhicules et infrastructures


Avant même les années 2000, les Etats-Unis ont commencé à travailler sur des protocoles réseaux qui permettront aux véhicules de communiquer avec les infrastructures et peu-à-peu ont émergé des standards de communication V2X (Vehicule-to-Everything), un Wifi spécialisé qui permet à un feu rouge de communiquer avec les voitures environnantes ou encore un véhicule qui prévient tous ceux qui le suivent qu’un obstacle obstrue une voie de circulation.


De nombreux centres de recherche mènent des expérimentations dans ce domaine car si les normes réseau sont standardisées, encore faut-il définir tous les messages qui seront échangés entre les véhicules et l'infrastructure. Des villes fantômes comme M-City de l’Université du Michigan ou Transpolis en France ont été édifiées pour tester ces échanges en conditions proches du réel. "L'ADN de Transpolis est de faire évoluer les infrastructures en préparation de l'avènement des véhicules autonomes" souligne Stéphane Barbier, directeur du développement de Transpolis.


Ce projet veut faire émerger de terre une ville de 80 ha dédiés aux véhicules communicants et autonomes. L'expert ajoute : "Il faut garder à l'esprit que le véhicule n'est qu'une composante du système de mobilité qui inclut notamment les infrastructures, dont les capteurs de chaussée, les panneaux communicants, les systèmes énergétiques et les réseaux de communication." De telles installations de tests permettent de tester la robustesse technologique des solutions proposées par les constructeurs, s'assurer de leur interopérabilité.


M-City, la ville fantôme créée par l'université du Michigan fait figure de pionnière dans les infrastructures de test dédiées aux véhicules communicants. De nombreux projets à plus grande échelle ont été lancés dans le monde (crédit photo : University of Michigan)

Outre ces tests en environnement protégé, diverses expérimentations sont menées tant en Europe, qu'aux Etats-Unis et en Asie-Pacifique afin de tester les infrastructures communicantes de demain. Dans le cadre de la phase 2 de son projet SCOOP@F, la France mène une vaste expérimentation, avec 3 000 véhicules communicants lancés sur 2 000 km de routes connectées.


Ce projet SCOOP@F avait été lancé par le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie en 2014 et il est cofinancé par l'Union Européenne. Parmi les participants à cette expérimentation à grande échelle, la Direction des routes en Ile-de-France (DiRIF) et la société autoroutière SANEF, deux gestionnaires de réseaux routiers sont notamment impliqués dans le projet. Le premier va déployer un boitier de communication tous les 3 km sur 300 km de voies. Le second va équiper les 400 km de l’autoroute A4 entre Paris et Strasbourg. Le projet va essentiellement bénéficier aux véhicules d’intervention, mais il permettra d’accumuler énormément d’information quant à la route communicante du futur. Toujours en Europe, un corridor entre Amsterdam, Francfort-sur-le-Main et Vienne ou encore le projet NordicWay entre les pays scandinaves.


En parallèle à ces grandes initiatives internationales, Audi of America n'a pas attendu que les chercheurs aient achevé leurs travaux de standardisation pour proposer une fonctionnalité V2I dans ses véhicules hauts-de-gamme. Le système a été dévoilé à Las Vegas fin 2016 et doit être élargi à diverses villes américaines dès cette année. Le système proposé par le constructeur allemand ne fait pas appel à des communications directes entre l'infrastructure routière et ses véhicules, mais collecte les informations relatives aux feux de circulation auprès du centre de contrôle de la ville. Ces données sont transférées au centre télématique Audi qui les transmets aux véhicules via réseau cellulaire LTE (4G). Une solution pragmatique et efficace.


Grâce à la 4G et un système de communication centralisé, Audi a pu lancer un premier service V2I aux Etats-Unis, un service très concret pour les automobilistes : l'affichage du temps d'attente aux feux tricolores.


La route du futur devra être une source de donnée


Les routes elles-mêmes vont se barder de capteurs afin de renforcer la sécurité des usagers. "La signalisation routière notamment avec des panneaux de signalisation intelligent ou encore des capteurs vont aider à guider les véhicules" estime Adel Ghazel, Directeur Innovation de Wevioo et Professeur en Télécommunications. "Ces capteurs vont permettent d’enrichir de manière dynamique la cartographie. Ceux-ci seront intégrés à l’enrobé de la route et vont détecter en temps réel le passage des véhicules.


Cette information sera mise à la disposition de tous les véhicules environnants, que ce soit pour réguler le trafic ou lancer des alertes en cas d’accident." Le premier de ces capteurs ne sera pas enfoui dans la chaussée, mais situé au-dessus de la route, il s'agit des caméras de surveillances.


Déjà largement déployées sur les réseaux autoroutiers et urbains, celles-ci peuvent aussi se transformer en source de données comme l'évoque Didier Blocus, Responsable Nouvelles Mobilités chez ALD Automotive : « Les caméras de sécurité sont capables de déclencher une alerte quand un véhicule roule à contre-sens, si un véhicule est arrêté sur la voie d’arrêt d’urgence. Les logiciels d’analyse d’image peuvent le signaler immédiatement ce type d’événements de même que la présence d’un piéton ou d’un animal sur les voies de circulation. »


Le croate Telegra Europe a mis au point des algorithmes d’analyse d’image capables d’identifier des situations anormales dans le flux de circulation capté par les caméras de surveillance.


Si cette solution présente l’avantage de tirer profit d’équipement déjà déployés sur les routes, les exploitants d’infrastructures routières vont devoir aller bien au-delà et doter la voirie de capteurs et objets connectés afin de fournir des données aux algorithmes de conduite autonome « Pour s’affranchir de contraintes qui freinent aujourd’hui à la mise au point des voitures autonomes, les routes vont devoir s’adapter à ces véhicules » estime Adel Ghazel. « Plus d’intelligence au niveau de la route permettra de retirer de la complexité des systèmes embarqués dans la voiture. Passer à la route intelligence permettra de passer de l’âge du véhicule automatisé à celui de la voiture véritablement autonome. »


Une nouvelle génération de capteurs communicants arrive sur le marché


Pour Arnaud de la Fortelle, éminent chercheur français de la robotique et directeur du centre de robotique de l’école des Mines ParisTech, l’idée de placer des capteurs dans la chaussée pour guider des véhicules autonomes n’a rien de très nouveau : « La technique du fil guidé, un simple fil électrique noyé dans la chaussée est déjà utilisée sur de nombreux… terrains de golf ! Les premiers véhicules autonomes qui ont roulé en Europe étaient basés sur cette technologie il y a 20 ans maintenant.


Aujourd’hui, nous sommes capables de faire nettement mieux car on sait faire une cartographie au centimètre près. » Avec leurs télémètres laser (Lidar), les voitures autonomes actuelles peuvent se localiser dans leur environnement sans l'aide de ce type de dispositifs, mais élever le niveau de sécurité des véhicules autonomes va nécessiter d’abreuver leurs algorithmes de données inaccessibles aux seuls capteurs du véhicule : présence de plaques de verglas, obstacle masqué par un virage, etc.


Seule la route elle-même peut communiquer ce type d’informations mais placer des capteurs communicants dans la chaussée pose néanmoins un véritable défi aux concepteurs d'objets connectés. Ce défi porte tant sur la durée de vie des capteurs qui doit être équivalente à celle de l'enrobé ou de l'infrastructure dans laquelle ils seront placés, que sur les moyens d'alimenter en énergie ces capteurs. Enfin, les ingénieurs doivent réussir à créer des capteurs dont le coût unitaire sera compatible avec des déploiements à très large échelle.


Une course est engagée entre les ingénieurs afin de concevoir des capteurs dont la durée de vie sera compatible avec celle des enrobées de la chaussée et des infrastructures routières.

Parmi ceux qui travaillent sur la mise au point de ces capteurs de nouvelle génération, le français Hikob. La start-up a mis au point une gamme de capteurs magnétomètres sans fils autonomes conçus pour détecter les véhicules sur les places de parking, mais aussi sur les voies de circulation afin de réguler le trafic. Hikob a aussi créé un capteur de température dont la durée de vie dépasse 10 ans. « Nous avons réalisé des capteurs de température de la chaussée pour l'agglomération du Grand Lyon.


Ceux-ci permettent d'anticiper le gel et la formation de verglas et ainsi déclencher les opérations de salage » explique Ludovic Broquereau, Directeur Commercial et Marketing. Jusqu’à présent, de tels capteurs nécessitaient la pose de câbles dans la chaussée pour amener une alimentation électrique et rapatrier les données jusqu’à un poste de contrôle. Ces contraintes techniques ont jusqu’à aujourd’hui fortement limité le déploiement de ces capteurs à une large échelle.


L’arrivée de composants à faible consommation énergétique, directement issus du monde des smartphones, et la généralisation des solutions de communication sans fil permettent petit-à-petit de lever ces contraintes. Les capteurs mis au point par Hikob communiquent leurs données à un boitier radio situé au bord de la route alimenté par une batterie et un petit panneau solaire. Pour l'instant, faute de parc de véhicules équipés de boitiers V2X, les exploitants d’infrastructures choisissent de collecter les données exclusivement à destination de leur centre de contrôle, mais, pour Ludovic Broquereau, il sera tout à fait possible de diffuser des messages directement aux véhicules depuis les passerelles situées en bordure de voirie simplement en intégrant à celles-ci les équipements V2I adaptés.


Des capteurs bientôt noyés dans le béton


Hikob travaille aussi avec Vicat, le troisième cimentier français. L'industriel cherche à mettre au point ce que l’on appelle en BTP les bétons fonctionnalisés (ou bétons connectés). Celui-ci veut noyer dans le béton des viaducs, tunnels et autoroutes, des capteurs qui permettront de suivre les propriétés physico-chimiques du béton tout au long de la durée de vie de l’ouvrage afin d'optimiser l'entretien.


Autre piste de recherche pour Vicat, placer les capteurs magnétiques d’Hikob sur les routes. « Nous avons mené un premier projet avec Hikob afin de valider que leurs capteurs communiquaient bien une fois placés dans le béton » explique Ludovic Casabiel, Directeur des marchés travaux publics et produits techniques de Vicat. « Nous avons placé ces capteurs aux portes de l'une de nos usines et ceux-ci ont été capables de reconnaître la signature électromagnétique de chacun de nos véhicules ! » Les capteurs pourront donc non seulement délivrer une information de trafic, mais aussi indiquer les types de véhicules qui sont passés à un instant T sur un tronçon.


Pour Vicat comme pour ses concurrents, l'autonomie de ces capteurs est critique dans la faisabilité des projets de déploiement. « Le béton a une durée de vie supérieure à 50 ans et atteint même parfois une centaine d’année » explique l’expert. « Il faudra donc mettre au point des capteurs qui auront une durée de vie de cet ordre. Cela paraît inatteignable mais nous croyons fermement que les chercheurs y parviendront. Il existe notamment des capteurs qui s'auto-alimentent simplement grâce aux vibrations, c'est une solution possible. » Exploiter les vibrations émises par les véhicules pour alimenter des capteurs à ultra basse consommation ou bien doter ceux-ci de micro-capteurs solaires, la balle est dans le camp des ingénieurs pour créer des capteurs à la fois endurants, fiables et peu coûteux.


Le défi d'alimenter les véhicules électriques en mouvement


Cette question de l’énergie est une constante dans cette problématique de route intelligente et le groupe Colas a totalement retourné la problématique puisqu’avec sa technologie Wattway, le leader mondial de la construction de routes a transformé la chaussée en panneau solaire géant : « La route du futur figure parmi l'un des 6 grands axes d'innovation de Colas » explique Christophe Liénard, Directeur des Equipements et de l’Innovation du groupe Colas. « Nous avons commencé par la génération d'énergie sur la route avec notre produit Wattway et qui permet de créer de l'énergie avec la surface de la route. Il est aujourd’hui établi que les véhicules de demain seront de plus en plus électriques et les véhicules autonomes seront majoritairement électriques et c’est pour cela que nous travaillons aujourd'hui sur la recharge wireless, mais aussi sur le stockage d'énergie directement dans la route et transformer la route en batterie.


» Coupler une telle chaussée à des boucles de recharge par inductions sera certainement la solution la plus élégante au problème de l’autonomie des véhicules électriques. Néanmoins, le coût du prototype de cette route solaire, de l'ordre de 5 millions d'euros pour un seul kilomètre posé, reste prohibitif pour un déploiement à grande échelle. Peut-être moins ambitieux mais plus pragmatiques, Scania et Siemens ont commencé à tester le système eHighway près de Berlin, ainsi qu'en Suède. Celui-ci alimente en électricité des camions hybrides via de simples pantographes, une technique largement éprouvée dans les chemins de fer. La solution ne pourra bénéficier qu'aux poids lourds dont la vitesse ne pourra dépasser 90 km/h.

Pantographes, boucles d'induction noyées dans la chaussée ou encore routes solaires, l’équation économique du déploiement de tels dispositifs à l’échelle d’un pays est extrêmement difficile à établir. Selon une étude réalisée par les autoroutes britanniques (highways england), la construction d’une simple voie de circulation dotée de boucles de recharge par induction sur les M1, M20 et M6, les principales autoroutes du pays, coûterait entre 400 000 € à 500 000 € par kilomètre. Sur 20 ans, le coût d’une telle route atteindrait 20 millions d’euros par km, dont 30% pour la construction et l’entretien et 70% pour l’électricité qui devra être injectée dans la route. Une facture que devront se partager usagers, gestionnaires d'infrastructures et états pour transformer cette vision en réalité.


Capteurs intelligents, équipements communicants et systèmes de transfert d'énergie, la route du futur s'annonce technologique et si l’impact de telles infrastructures sera très positif sur le plan des émissions de Co2 et autres polluants issus de la circulation routière, les états vont devoir imaginer de nouveaux modèles économiques pour amortir sur la durée un tel investissement. Un investissement qui, de surcroît, va réduire les confortables recettes liées aux taxes pétrolières. Ce sera le prix à payer pour tendre vers le risque et la pollution zéro sur nos routes.


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