Les médias se sont étonnés à juste titre du score important enregistré par Emmanuel Macron auprès de nos compatriotes expatriés. Sur les 56% des 1,2 million d'électeurs établis hors de France qui ont voté le 23 avril, 40,4% ont choisi le candidat d'"En Marche !", 26,3% François Fillon, 15,8% Jean-Luc Mélenchon, 6,9% Benoît Hamon et 6,5% Marine Le Pen.
Pour autant, les enseignements que l'on peut tirer dépassent les simples considérations politiques et découlent en fait de certaines réalités méconnues en France:
Le nombre des Français de l'étranger augmente régulièrement de 2 à 3% par an et leur typologie a profondément changé ces dernières années. Les expatriés envoyés à l'étranger par leur entreprise pour une période limitée sont devenus minoritaires dans les pays développés, et ont été remplacés progressivement par des entrepreneurs indépendants (souvent las de subir les lourdeurs françaises...) et par des jeunes ayant déjà vécu une première expatriation grâce à Erasmus ou des programmes universitaires.
Il est clair que ces startupers se projettent plus dans un candidat trentenaire que dans les caciques traditionnels de la politique hexagonale. Par ailleurs, les affaires, largement relayées par les médias étrangers, ont mis mal à l'aise ces Français sensibles à la question de l'image de notre pays, et qui ont dû parfois se justifier personnellement auprès de leurs parents, amis ou collègues.
Le score élevé de Macron - et a contrario celui très faible de Le Pen - s'expliquent par le fait que le candidat d'En Marche ! est apparu pour beaucoup comme le rempart le plus crédible face au FN. La communauté des Français de l'étranger, et en particulier les jeunes, est très connectée entre elle via les réseaux sociaux: elle a pu analyser plus facilement que les autres Français les conséquences du Brexit et donc l'impact d'un éventuel Frexit sur son propre avenir.
Il n'est pas étonnant que cet électorat foncièrement ouvert sur le monde se soit massivement reporté sur Emmanuel Macron, notamment dans les pays européens, où les binationaux sont conscients qu'une victoire du FN entraînerait de facto la mort de l'UE.
A contrario, on pourrait s'étonner du score anormalement élevé du candidat de la France insoumise, qui dépasse parfois François Fillon dans certains pays, y compris - ironie de l'Histoire ! - dans les pays de l'ancien bloc communiste. Il faut y voir l'effet du rajeunissement de l'électorat des Français de l'étranger mais aussi la précarité grandissante dans laquelle se trouve une partie d'entre eux.
Aujourd'hui, des milliers de jeunes diplômés français travaillent dans les pays d'Europe centrale et orientale avec des salaires et des contrats locaux. Ces nouveaux expatriés, qui n'ont donc rien à voir avec la caricature du Français de l'étranger cadre sup' ou évadé fiscal, ont pu être séduits par le discours anti-capitaliste de Mélenchon.
Pour finir, le jeu des vases communicants a naturellement impacté de plein fouet Benoît Hamon, qui ferme la marche du peloton de tête à quasi égalité avec le FN. Autant qu'en France, c'est un camouflet pour le Parti socialiste et EELV, alors que les partis scrutent maintenant l'Assemblée nationale et représentent actuellement 6 des 11 postes de députés des Français de l'étranger.
En conclusion, ce premier tour a généré d'importants bouleversements chez nos compatriotes établis hors de France. Beaucoup d'entre eux ont cherché à faire barrage à la candidate frontiste, suspectée de vouloir mettre à bas la construction européenne. Une fois la présidentielle passée, un autre équilibre interviendra certainement à l'occasion des législatives de juin prochain.